HOMMAGE

 

 

 

 



 

Louis CAPAZZA et Alphonse FONDERE partis de MARSEILLE atterrirent en CORSE à APPIETTO après avoir réalisé la première traversée de la méditerranée en ballon (le 14 novembre 1886).




Le 14 novembre 1886, l'aéronautique enregistrait une des plus belles pages de son histoire. Un jeune aéronaute, alors inconnu, avait l'audace de traverser la Méditerranée, de Marseille en Corse, à bord de son ballon libre. Le jeune homme qui réussit avec bonheur cet exploit s'appelait Louis Capazza.

Dès une heure après midi (horaire de l'époque), la foule envahit la plaine Saint-Michel (Actuellement place Jean-Jaurès) : le Gabizos, ballon sphérique d'un aéronaute déjà connu, Louis Capazza, va s'envoler pour atteindre Cassis. Musique des pionniers, un détachement militaire et les gardiens de la paix rendent les honneurs. L'émotion est grande: un mistral assez fort gêne le gonflement, et l'on a dû boucher des trous comme on a pu.
A 4 heures, l'aéronaute se déclare prêt à partir, mais il préférerait être accompagné.
Un jeune homme se présente: Alphonse Fondère, vingt et un ans, trois de moins que Capazza.
A 4 heures et demie, lâchez- tout. Le ballon s'élève majestueusement, puis s'incline vers la rue de l'Olivier et s'abaisse jusqu'à raser les toits. Déjà des curieux se précipitent, pensant le voir tomber; mais Capazza le relève grâce à un parachute-lest qu'il a récemment inventé: un poids relié à un parachute attaché lui-même à une longue corde permettant de ramener l'ensemble à bord de la nacelle au moyen d'un treuil.
Le ballon passe ensuite à bonne hauteur au-dessus de Saint-Pierre, puis des collines de Saint-Loup,
« semblable à une grosse lune rousse ».
En réalité, Capazza avait dans l'idée de tenter la traversée Marseille-Corse.

Arrivés à Cassis vers 5 heures, les deux voyageurs décident donc de continuer. Poussé par le vent, le ballon survole La Ciotat et longe la côte jusqu'aux îles d'Hyères. Mais là, une saute de vent le lance vers le sud, en pleine Méditerranée. La mer gronde, devient houleuse, la tempête se déchaîne. La nuit tombe. Le ballon poursuit sa course vertigineuse dans une obscurité totale: les deux passagers doivent enflammer des allumettes sous une casquette pour consulter leur boussole. . A Toulon le canon d'alarme a retenti, L'amiral Krantz, préfet maritime, envoie un bateau, le Robuste au secours des aéronautes qu'il croit en péril. Capazza entend le coup de sirène du bateau à vapeur qui est prêt à lui porter secours mais il continue sa route, malgré les mauvaises conditions atmosphériques. Le ballon, quoique délesté, frôle les flots; les aéronautes, démunis de ceinture de sauvetage, sont perdus s'ils plongent; ils suppriment donc la nacelle et se réfugient dans le cercle, où ils s'accrochent aux mailles du filet. Le ballon est à demi dégonflé. Fondère offre alors de se jeter à l'eau, pour sauver au moins son compagnon. Celui-ci refuse, alléguant d'ailleurs que l'appareil, trop allégé, bondirait à une hauteur telle que le survivant serait asphyxié. Aucun recours. C'est la fin...
Soudain...
- Un phare à droite, s'écrie Fondère.
En effet, une lumière oscille mais elle disparaît aussitôt dans un épais nuage.
- C'est la terre! dit enfin Capazza... c'est la terre ! le feu de tout à l'heure nous est caché par une colline... voici des taches noires.
Il s'agissait probablement des Sanguinaires. Le ballon descend et rase les roches granitiques de la côte. A grands coups de soupape, Capazza essaie de vider les derniers gaz; le grand panier d'osier vient heurter le sol et rebondit sur plusieurs centaines de mètres. Lorsqu'il s'arrête, les deux hommes sont vivants mais Fondère est fortement commotionné. En cinq heures et demie, ils ont franchi une distance supérieure à 300 kilomètres à travers la tempête.
Un berger qui passait près des deux rescapés leur apporte les premiers secours et les informe qu'ils sont bien en Corse, sur le territoire de la commune d'Appietto, a u lieu-dit l'Alzelli. Il leur donne l'hospitalité pour une nuit et ne veut pas croire que les deux hommes qu'il héberge sont tombés du ciel. ( Voir a la fin du texte, Avec Fondère chez les bergers )

Durant toute cette terrible nuit, les Marseillais ont attendu anxieusement des nouvelles. Mais, sur les huit pigeons prêtés par la société « La Colombe », sept ont dû être abandonnés pour délestage et un seul parvient dans la matinée du 15, porteur d'un message de Fondère daté de la veille, 4h55 après midi. Enfin, à 2 heures après midi arrive une dépêche de Capazza:
« Avons atterri. Ballon en bon état.»
Le premier voyage intercontinental est réalisé.
Marseille-Appiétto : 295 kilomètres, à la vitesse horaire de 59 kilomètres. Un bel exploit sportif, à portée scientifique aussi: les voyageurs ont pu en effet reconnaître certains courants aériens et vérifier l'efficacité du parachute-lest, qui les a aidés plusieurs fois avant l'abandon de la nacelle.
Un très beau résultat donc, mais obtenu au prix de quels périls! - affrontés d'ailleurs en toute connaissance de cause: car, au moment du lâchez-tout, Capazza avait secrètement recommandé à son ami Etienne Ghilini sa vieille maman, qui assistait au départ. Heureusement la fortune, cette fois encore, sourit aux audacieux.
Tous deux firent du reste une brillante carrière qui mériterait plus qu'une brève notice.

Louis Capazza était né à Bastia le 17 janvier 1862 de Jules Capazza et de Elisabeth Giabbiconi.
Il fait ses études au lycée de cette ville avant d'entrer dans l'administration des Ponts et Chaussées. Avec la collaboration d'un camarade, P. Livrelli, il établit les plans d'un instrument de précision qui permet de supprimer lé calcul nécessaire aux courbes de raccordement sur le terrain. Cet ingénieux appareil retient l'attention de l'inspecteur général de l'administration, de passage à Bastia. Ce dernier permet aux deux jeunes inventeurs de se rendre à Paris, aux frais de l'Etat, pour mettre au point l'instrument. En 1883, l'appareil est terminé et présenté à l'Exposition du Travail au palais de l'Industrie. Il obtient la médaille d'or. Capazza a alors vingt et un ans. La même année, il entre au Service de la carte d'état-major pour étudier les problèmes relatifs à l'installation du réseau de chemin de fer de Corse.
Il cré bientôt son parachute-lest, expérimenté sur l'esplanade des Invalides et présenté à l'Académie des sciences par Marcellin Berthelot.
Entre 1883 et 1885, Capazza fait son apprentissage; il lit beaucoup, entre en contact avec le milieu aérostatique, rencontre les aéronautes célèbres du moment et sans doute participe à plusieurs ascensions comme passager au Polygone de Vincennes dès 1884. Ses recherches sont à la fois techniques et scientifiques: le ballon peut rendre de grands services dans l'observation, l'étude des fonds marins et des grands courants aériens.
On le retrouve en Corse en 1886 pour mettre en pratique les théories qu'il a établies au cours de ses recherches et, avec son ami Livrelli, il réalise, au-dessus de Bastia et d'Ajaccio, ses premières ascensions à bord de son propre ballon, le Gabizos.
Capazza s'est livré à de nombreuses expériences de mesures sur la composition de l'atmosphère pour apprendre à lire avec précision les courants aériens et la manière de s'en servir; mais comme il se veut surtout technicien de l'aéronautique, c'est à l'aspect technique des ballons qu'il se consacre.
Après cet exploit, Capazza continue ses recherches. Bien placé pour mesurer l'importance que présenterait un perfectionnement apporté au parachute, il met au point un nouveau dispositif dont il fait personnellement l'essai et qui est agréé par l'Académie des Sciences.
Avec ce « Sauveur aérien », il effectue en 1892 plus de quarante descentes pour démontrer la fiabilité de son invention.
Un jour, Capazza convie à l'usine à gaz de La Villette quelques personnes à une expérience pour le moins surprenante: il entend s'élever à 2000 mètres d'altitude, éventrer son ballon, puis redescendre avec son parachute. Il tient son engagement et atterrit sans difficultés dans un champ de blé à Drancy, ce qui lui vaut une nouvelle plaque commémorative.
De 1892 à 1898, Capazza séjourne en Belgique. Sans abandonner l'aérostation, il s'occupe d'affaires industrielles pour plusieurs sociétés et fait de nouvelles petites inventions. En 1907, l'ingénieur Adolphe Clément lui demande de venir travailler à Paris pour perfectionner son idée de lenticulaire. Il travaille alors dans les usines Bayard-Clément. C'est sur un modèle de la maison qu'en 1908 il survole Paris, effectuant un parcours de deux cents kilomètres en quatre heures cinquante minutes; la même année, il bat le record d'altitude en montant à 2000 mètres.
En 1910, il est le premier à effectuer la traversée de la Manche en ballon dirigeable. Parti de Moisson (Seine-et-Oise) le 26 octobre sur le Morning-Post dont il est l'ingénieur et le pilote, il atterrit en Angleterre au camp d'Aldershot.
L'Académie des sports lui décerne la médaille d'or.
On doit par ailleurs à ce grand précurseur du survol des mers les premières explorations de la haute atmosphère à l'aide de ballons-sondes, un système de balisage adopté dans toute l'Europe et des études sur les courants aériens de l'Atlantique.
Il accomplit au total plus de deux cents ascensions.
Les honneurs le récompensent. L' Aéro-club de France le désigne comme rapporteur de la commission des dirigeables.
Il devient vice-président de l'Association française de navigation aérienne et fondateur de l' Aéro-club de Belgique. En 1925, le grand prix de la ville de Paris réservé aux savants lui est décerné. Officier de la Légion d'honneur, vice-président de l'Association française de navigation aérienne, unanimement admiré comme une véritable figure chevaleresque.
C'est dans la capitale qu'il meurt le 28 décembre 1928 et il est inhumé dans un caveau de famille dans la forêt de Marly.

Il fut particulièrement estimé par son intrépide compagnon du Gabizos, Hyacinthe-Alphonse Fondère. Celui-ci naquit à Marseille, rue Buffon, le 26 août 1865. Remarqué par Savorgnan de Brazza lors de son ascension de 1886, il devint un de ses meilleurs collaborateurs et fut un des fondateurs du Congo français. Explorateur courageux, administrateur de territoires, organisateur de grandes sociétés commerciales ou bancaires, d'entreprises ferroviaires minières, conseiller financier au Maroc ou ailleurs - il réussit partout. Il fut nommé successivement membre du Conseil de la Banque française d'Afrique, puis du Conseil supérieur des colonies et en outre administrateur de la société Radio-France. Il joua même un certain rôle diplomatique, surtout en 1911, à l'occasion du différend - franco-allemand au Maroc: il déploya dans cette affaire «de merveilleuses qualités », selon l'expression de M. François Berger, alors secrétaire de la Commission du Sénat; il suggéra d'échanger un territoire du Moyen-Congo contre les droits allemands au Maroc et fut ainsi à l'origine du traité qui évita la guerre tout en nous laissant les mains libres.
Toujours très actif à soixante-cinq ans, il se trouvait en 1930 à Addis-Abbéba, auprès du Négus, en vue d'établir une banque d'Etat destinée à remplacer la Bank of Abyssinia, quand il fut emporté par une pneumonie grippale le 26 novembre et enseveli, selon son désir, à l'endroit même de son décès.

Tels furent ces deux pionniers de notre aéronautique. Leur exploit de 1886 a été commémoré deux fois. Le 28 octobre 1928 en Corse, un monument Capazza fut inauguré au col de San Bastiano, en présence de M. Landry, président du Conseil général.

Puis, le 16 novembre 1930, à Marseille, en bordure de la plaine Saint-Michel, une belle inscription, due au sculpteur Botinelly et à l'architecte Castel, fut dédiée à la gloire des deux voyageurs par les soins du ministère de l'Air, du Conseil général des Bouches-du-Rhône, de l'Aéro-Club de France et des municipalités d'Ajaccio, Bastia, Marseille. A la cérémonie assistaient notamment Mlle Capazza, fille de l'aéronaute, ainsi que les célèbres aviateurs Costes et Bellonte.
Ni la Corse ni Marseille n'ont oublié...

Monument de MARSEILLE...
Monument du col de San Bastiano...... (Crédit photos A-M Venturini, Maison de la Corse Marseille)

Avec Fondère chez les bergers
Capazza a narré sa Traversée de la Méditerranée en ballon avec Fondère, dans une brochure parue en 1899. Il s'attarde à évoquer comment ils ont été reçus par les bergers du golfe de Lava après leur atterrissage mouvementé.
Le jeune Alexandre Mancini les a conduits au stazzo...
_ Qui est là ? - C'est moi. Ouvrez.
On ouvre la porte. Nous entrons. L'obscurité était complète.
_Allume, dit une voix rauque qu'on aurait cru venir d'en haut.
Contre un mur étaient des tisons ayant encore un peu de braise au bout. L'homme qui nous avait ouvert en saisit deux, souffla dessus en approchant un morceau de résine qui bientôt prit feu en pétillant ; il l'enfonça dans le mur décrépi, entre deux pierres.
_ Bonsoir messieurs.
_Bonsoir amis.
Le bois gras éclaira, d'une longue flamme rousse, une salle tout enfumée. Trois hommes dormaient à terre, couchés sur des peloni, les pieds nus au feu. Dans un angle, en face du feu, sur une espèce de couchette composée de planches soutenues par deux madriers, était le plus vieux des frères Mancini. Réveillé, il s'accouda et demanda:
_ Qu'est-ce qu'il y a ?
_ Ce sont deux amis venus de France en ballon: ils sont tombés à l'Alzelli.
_ Allons, allons pas de blagues.
Les trois autres se levèrent à demi, en bâillant fortement, tous les trois surpris par notre arrivée imprévue.
_ Qu'est-ce qu'il y a ? dirent- ils aussi.
Et aucun ne voulut croire le jeune Alexandre alors que l'arrivée de deux bandits, voire même de deux gendarmes, leur eût semblé toute naturelle.