HUMOUR

 

 


MAISTRALE

Trait d'humour corse sous forme d'un document tout à fait particulier remémorant un épisode burlesque qui fit rire toute l'île peu avant la dernière guerre de 40.
C'est en l'occurrence une photo insolite du savoureux barde insulaire Dumenicu Antonu Versini, alias Maistrale, auteur de tant d'ouvrages in lingua materna et inoubliable parolier de notre Canzona di u cuccu. Toujours pince-sans-rire, notre troubadour avait fait ériger avant l 'heure sa dernière demeure dans le cannicciu marin d' Aiacciu, tombeau assorti de son propre buste en bronze et parallèlement d'un bas-relief évoquant l'une de ses autres chansons, Aiacciu Bellu.
C'est comme ça qu'un jour où il était venu inspecter les lieux, il lança plaisamment à une vieille dame effrayée par cet étrange jumelage:
« Scusetimi 0 Madama, qui drentu s'assufoca omu, Allora, so surtitu un pocu à piglià u frescu ! ... »

Ce texte et la photo : GRAND ALBUM Antulugia di a cartulina Corsa Victor SINET Albiana 2002

CONSTITUTION ET DEMOCRATIE

Depuis deux siècles la Corse montre la voie à la France en matière de Constitution et de démocratie. A force de lui donner de grands hommes - deux empereurs -, de sacrifier ses soldats, il est temps de reconnaître que cette assistance désintéressée ne peut plus durer. Le peuple français doit désormais se faire à l'idée qu'il devra assumer seul son destin !

En ces temps où les esprits sont troublés, la Corse a mauvaise presse. La véritable teneur des liens qui unissent l'île à sa métropole échappe trop souvent aux chroniqueurs les plus avisés. Aussi, je crois qu'il faut à présent poser la seule question qui mérite débat : la Corse a-t-elle encore les moyens d'honorer le contrat moral qui la lie à la France depuis le XVIII siècle ?

A cette époque, la petite île, véritable laboratoire d'idées, accédait à la modernité. Dès 1755, le préambule de la Constitution de Pasquale Paoli affirmait que le peuple Corse «ayant reconquis sa liberté [donne] à son gouvernement une forme durable et permanente, en le transformant en une Constitution propre à assurer la félicité de la nation». La Corse venait d'inventer la démocratie moderne vingt et un ans avant les États-Unis et leur Constitution de Philadelphie, trente-cinq ans avant la France, alors accablée par les turpitudes d'un régime monarchique décadent.

Le petit État Corse pouvait-il faire autrement que montrer la voie de la démocratie au peuple de France ? La sollicitude de la Corse à l'égard de la France dure toujours, mais pour combien de temps encore ?

L'assistance biséculaîre de l'île à la métropole eut pour unique but d'assurer à la France un rayonnement digne de son rang. Il faut le dire, la Corse, dont on dénonce les mœurs rudes, a civilisé la France. Qui, mieux que Napoléon, conjugua l'amour de «la petite et de la grande patrie» ? Le Code civil qu'il légua à la France lui offrit les cadres de son essor. Et, puisque le plus célèbre des Corses a essaimé de son vivant son code en Pologne, en Belgique, et qu'au cours du xixsiècle le Code Napoléon a servi de modèle en Hollande, en Espagne, au Portugal, en Roumanie, je crois que l'on peut même affirmer que la Corse a civilisé l'Europe.

D'autre part, depuis deux siècles, la petite île a offert, sans jamais compter, ses fils les plus vaillants au développement du continent. Le dévouement poussa même Napoléon Bonaparte à offrir sa famille entière à l'Europe. Est-il besoin de rappeler que la Corse a donné deux empereurs à la France, incapable de s'en trouver un depuis Charlemagne. Et puis les Corses offrirent encore l'Empire colonial. Les faits sont avérés. Albert Sarraut, ministre des Colonies pendant l'entre-deux-guerres, déclara, plein d'emphase : « Les Corses forment l'armature splendide et solide de la France lointaine. » Le général Gouraud, qui côtoya de nombreux insulaires au Maroc et en Syrie, renchérira: « Il n'y a sans les Corses ni coloniales, ni colonies ! » Étayons ce propos par un simple rappel : les Corses en Afrique noire française et à Madagascar représentaient, au bas mot, un tiers du personnel de l'administration pénitentiaire et des commis de douane et près de la moitié des ingénieurs en chef et des inspecteurs généraux des services agricoles.

Les Corses ne se sont pas contentés de faire rayonner la France, ils se sont également battus pour son honneur. A l'occasion de la première guerre mondiale, la Corse solidaire de la France envoya au front tant de soldats qu'elle contribua d'une manière exceptionnelle à l'effort de guerre. De nouveau, la Corse se distingua lors de la seconde guerre mondiale. En se libérant seule du joug de l'Italie fasciste et de l'Allemagne nazie, elle allait devenir une précieuse plate-forme aux alliés, dès le mois de novembre 1943. Sans elle, le débarquement de Provence aurait-il été possible ?

Enfin, il ne faut pas réduire la contribution de la Corse aux seuls domaines juridique, politique ou militaire. Les Corses ont été partie prenante du développement économique de la France. Le rôle des émigrés insulaires sur le continent est particulièrement évident à Paris et à Marseille, deux cités qui se disputent, depuis le début du XIX siècle, le titre honorifique de « plus grande ville corse au monde ».

Cependant, ce bref aperçu du rôle de la Corse dans l'épanouissement de la France ne doit pas occulter que cette action bénévole, cette assistance désintéressée, ne peut durer éternellement. Tout d'abord parce que, de nos jours, le dévouement de la Corse vexe l'opinion française. La disproportion entre la superficie de l'île et celle de la France métropolitaine fâche certains esprits. Pourtant qui s'étonne de voir le Danemark gouverner le Groenland, cinquante fois plus étendu ? Toutefois, la fatalité n'est pas d'ordre géographique mais bien démographique. Un petit peuple d'un demi- million d'individus, en comptant les Corses résidant sur l'île et ceux de la diaspora, ne peut éternellement gouverner 60 millions de Français. D'ailleurs l'opinion publique commence à se faire à l'idée d'un contrat nouveau entre la Corse et la France. Ainsi, les derniers sondages révèlent que, si 80 % des Corses souhaitent que la France reste Corse, seulement 59 % des Français adhèrent encore à cette idée. Corses, le temps est peut-être venu d'accéder à cette volonté d'autonomie, d'autant que la France coûte à présent beaucoup trop cher à l'île.

Le coût social de pareille tutelle est trop lourd. Combien de juristes, de militaires de médecins, d'instituteurs ont civilisé la France ? Combien de fonctionnaires, de députés et de ministres ont administré ce grand pays ? Savez-vous qu'il y a peu l'Amicale des parlementaires d'origine corse réunissait pas moins de 35 députés et sénateurs. A présent, ce coût n'est plus supportable. Faute de personnel, la justice corse déraille ; faute d'enseignants, l'éducation en Corse patine ; faute de militaires, le désordre règne sur l'île. De plus, la France s'avère être un gouffre financier pour la Corse. Rappelez-vous qu'il y a peu le Parlement a tenté de réformer les arrêtés Miot, afin que les héritages en Corse soient soumis à une obligation de déclaration de patrimoine. La levée de boucliers qui s'ensuivit en Corse est légitime les Corses en ont assez de se serrer la ceinture au profit des Français !

Aussi, si l'honneur et la vertu commandaient aux Corses du XVIII siècle de prendre en charge les destinées de la France, ces mêmes qualités exigent à présent que les Corses accordent l'autonomie à la France, et que le peuple français ait le courage d'assumer seul son destin. Il en va tout aussi bien de l'intérêt des Français que celui des Corses.

Mateo Falcone* * Pseudonyme d'un chercheur en sciences sociales et corédacteur du site multimania.conilgeopoliticorse
Tribune libre parue dans Marianne