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L'Ordre
du Temps
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L'année n'est pas un temps abstrait, dont l'écoulement serait
uniforme et réversible. Chaque jour, c'est-à-dire chaque saint,
chaque mois, apporte son lot de promesses, d'accomplissements, mais aussi bien
d'incertitudes et de déceptions, à la construction d'un édifice
vivant, refermé sur lui-même (l'année est un cycle) dans
lequel chaque événement retentit sur tous les autres.
Certains jours de la semaine sont néfastes: le lundi et le vendredi.
On ne commence ni ne finit jamais un travail important le vendredi. Dans certains
villages du sud on ne fait pas sortir un mort de la maison un lundi; il est
de mauvais augure de naître un vendredi. Le jour de la mort du maître
de maison, pendant toute la durée du deuil, est marqué chaque
semaine par une mise en sommeil de la maison (on entrebâille les volets,
on n'entreprend aucun travail important). Il en est de même à Petracurbas pour le jour de la Saint-Laurent:
si la Saint-Laurent tombe un mercredi, tous les mercredis de l'année
sont néfastes.
Ce calendrier tient également un grand compte de la lune: on coupe les
bois à feuilles caduques à la vieille lune, et les bois à feuilles
persistantes à la nouvelle lune. En revanche, le jour de Noël coupe
la lune si Noël tombe un jeudi, on peut tailler n'importe quel bois tous
les jeudis de l'année, quelle que soit la lune.
De
chaque mois on attend quelque apport spécifique: janvier
doit être froid, février est le mois des intempéries,
mars est changeant, « marzu cambia serre barrette» (mars
change sept fois de casquette) trompeur et dangereux dans ses
faveurs, «sola marzulinu di e vecchj ne face u sterminiu » (Le
soleil de mars extermine les vieux); mais il est excellent
s'il est sec et suivi d'un avril pluvieux, « marzu asciuttu,
aprile bagnatu, beatu quellu chi a suminatu (mars sec et avril
pluvieux: heureux celui qui a semé).
Mai et juin sont les mois de transition et de soudure entre les travaux du
printemps et les premières récoltes. L'eau du mois d'août
est bénéfique pour les vignes, « aostu, aostu, lutta
l'acqua torna most ») (août, août, toute l'année
deviendra moût).
Septembre, comme mars, son symétrique dans l'année, est trompeur, « Matrimoniu
settembrinu, prestu veduvu o meschinu » (mariage de septembre, bientôt
veuf ou misérable). Novembre se prête aux semailles, « chi
sumina avanti i Santi, suminà per i cantati » (qui sème
avant la Toussaint, sème pour les oiseaux). Il fait mûrir le
vin dans les tonneaux puisque la Saint-Martin est la fête des vendanges, « ln
San Martinu u mostu vale vinu » (à la Saint-Martin le moût
est devenu vin). Et c'est à partir de la Saint- Martin qu'on goûte
le vin nouveau. Jusqu'à Sainte-Lucie (13 décembre) on peut
semer sans compter, ensuite il faut y réfléchir à deux
fois.
Dans cet édifice mouvant, chaque défaillance se paye, « si
marzu un marzeghja, ghjunghju unfesteghja » (si mars n'est pas ce qu'il
doit être, juin ne peut pas remplir ses promesses). De même un
trop beau temps à Noël est promesse de froid au printemps, « Natale
a u balcone, Pasqua a u fucone » (Noël au balcon, Pâques
aux tisons). A arriver trop tôt les faveurs du ciel risquent d'être
stériles, «Tremula di maghju, oliu par l'assaghju, tremula di
ghjunghju, eliu a lavà grugnu » (floraison de mai, à peine
un peu d'huile pour la goûter, floraison de juin, on pourra s'en laver
le visage). Certains saints gardent les portes d'une saison, ou d'une phase
de cycle agricole. Ainsi, Saint-Georges (23 avril), Saint-Marc (25 avril)
et Saint-Térame (2 juin) peuvent compromettre les récoltes
d'olives et de raisins. D'autres, comme la chandeleur, marquent par le temps
qu'il y fait la fin ou le prolongement de l'hiver, « Santa Maria Ciriola,
s'ellu piove di l'invernu simu fora; s'ell'è sole e bellu tempu, trenta
ghjorni simu dentru» (pour la Chandeleur, s'il neige ou s'il pleut,
nous sommes sortis de l'hiver; s'il fait soleil ou beau temps, nous sommes
encore en hiver pour trente jours). Certains saints se répondent, « Sant'Antoniu
grand fridura, San Lurenzu grancaldura, l'unu e l'altru pocu dura » (Saint-Antoine
[17 janvier] grande froidure; Saint-Laurent [10 août] grande chaleur;
l'une et l'autre durent peu).
Ce calendrier cyclique annonce le destin climatique et généralement à l'échelle
de la saison et de l'année. Au jour le jour, le paysan lève
les yeux au ciel, observe les nuages, les animaux de la terre, de l'eau et
du ciel: ainsi, « aria rossa alla marina piscia o soffia la matina » (ciel
rouge sur la mer, pluie ou vent le lendemain matin) ; « Arcu di mane,
acqua a funtana, arcu di sera, bon tempu spera » (arc-en-ciel du matin,
pluie à torrents, arc-en-ciel du soir, espère le beau temps).
Quand les troupeaux descendent se mettre à l'abri de la forêt
c'est que le temps du lendemain sera mauvais. On interprète également
le passage de la belette comme l'annonce de la pluie.
Plus encore que le paysan, le pêcheur a besoin de bien connaître
et prévoir le temps: son travail, mais aussi sa vie en dépendent.
Il lui faut en particulier compter avec les vents. Certains sont réguliers
comme la brise de mer qui souffle le matin et la brise de terre qui souffle
la nuit. Il les utilise pour naviguer. Les vents saisonniers les plus importants
sont le libecciu qui souffle en toutes saisons du sud-ouest ou de l'ouest
selon les régions; la tramuntana et le maïstrale qui soufflent
du nord, la première, froide et sèche en hiver, le second sec
ou humide suivant qu'il souffle en été ou en hiver; le sciroccu
est un vent du sud-est, sec et chaud en été, porteur de pluies
en hiver; le gregale, d'origine nord-est, est le grand vent tyrrhénien,
humide dans le nord, sec dans le sud. Il n'atteint pas le versant occidental.
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