DEBAT
LA DECENTRALISATION LA PAROLE AU PEUPLE EN CORSE
Depuis 1982, les lois de décentralisation concernant la Corse se sont
succédé, donnant aux élus des compétences propres à permettre
la mise en œuvre de politiques susceptibles de régler les grands
problèmes de l'île.
Si les Corses ne perçoivent pas suffisamment les progrès réalisés
grâce à ces transferts de compétences, ils ne savent pas
non plus l'étendue des pouvoirs et des moyens conférés
aux élus corses qui, déviés ou inemployés, aboutissent à un
vrai gâchis.
La Décentralisation aujourd'hui projetée mettra-t-elle la droite
Corse face à ses responsabilités? Ou bien l'éternelle
malédiction sera-t-elle encore invoquée en cas d'échec?
Ne serait-il pas temps, après tant de réformes institutionnelles,
de se préoccuper dès à présent du développement économique
de l'île?
SIXTE
UGOLINI Président de KALLISTE
Avant de donner la parole aux intervenants, il n'est pas
inutile de faire un bref retour en arrière. Le passé éclaire toujours
le présent.
Un rappel historique de l'évolution des institutions spécifiques
de la Corse est donc nécessaire.
Lorsque François Mitterrand a été élu en 1981,
Président de la République, il devait changer la vie. Il a amené dans
ses bagages de quoi changer la Corse: un projet de statut particulier élaboré par
le Parti Socialiste. Sa mise en place s'est faite dans l'enthousiasme et la
douleur. Compte tenu du contexte, les plus réticents se sont ralliés à l'idée
de statut particulier et les plus hostiles n'ont pas refusé d'utiliser
les nouvelles institutions pour maintenir leur pouvoir. Pendant plus de dix
ans, l'institution a fonctionné dans une certaine confusion, politiquement
et techniquement, mais a aussi fait la preuve de ses avantages, à tel
point que l'expérience a été généralisée à la
France entière.
Pour des raisons difficiles à analyser ici, dans le cadre de notre débat,
(blocage des institutions, désir de décentralisation plus poussé,
volonté de donner satisfaction à une fraction de l'opinion ou
même simple besoin de voir le pouvoir régional changer de main),
le gouvernement a désiré, en 1992, aller plus loin dans les réformes
et a fait adopter ce que l'on a appelé le statut Joxe. Mais après
dix ans d'application, les principaux problèmes de l'île, et principalement
celui de la violence, restaient sans solution.
Suite à une flambée de violence particulièrement insupportable
menant tout droit au terrorisme aveugle, le gouvernement Jospin a engagé des
discussions avec l'ensemble des élus de la Corse. Il les a invités à dire
ce qu'ils souhaitaient pour assurer l'avenir de l'île. De ces discussions
dites de Matignon, il en est résulté une loi dont l'application
a été stoppée compte tenu du changement politique voulu
par les français le 21 avril 2002. En effet cette loi comprenait 2 volets
dont l'un devait s'appliquer après les élections Présidentielles.
Les discussions de Matignon ont fait voler en éclat, surtout en Corse,
le clivage traditionnel Gauche-Droite, tant il est vrai que les institutions
n'ont jamais, en tant que telles, réglé les problèmes
de fond qui se posent à une société. Les institutions
ne sont qu'un moyen permettant d'aider à mieux résoudre les problèmes.
Il ne faut donc pas s'étonner si les discussions de Matignon ont fait
apparaître des clivages inattendus. Si la droite Française était
plus que réservée sur le projet de Matigon, et si elle a voté majoritairement
contre la loi, la droite Corse était globalement favorable au projet.
Si la réélection de Monsieur Chirac à la Présidence
de la République a laissé, un moment, craindre l'abandon du projet
de donner à la Corse des institutions particulières nouvelles,
l'évolution politique a convaincu les tenants actuels du pouvoir de
poursuivre le dialogue avec les élus Corses au risque de se contredire.
Quoi qu'il en soit, la nouvelle réforme des institutions de la Corse
est en marche. Les contours n'en sont pas encore bien définis mais les
grandes orientations se dégagent déjà et les positions
s'affirment et s'affinent.
Faut-il une Assemblée unique ou maintenir le statut quo avec une meilleur
définition des compétences? Faut-il une Assemblée représentative
unique entourée de deux Conseils exécutant les décisions
et servant de relais avec la population? Ne vaudrait- il pas mieux supprimer
les Conseils Généraux?
D'une manière ou d'une autre, les réformes se feront. Nous ne
pouvions pas rester en dehors de ce débat car les enjeux pour la Corse
sont énormes même si la solution à nos problèmes
va bien au delà des réformes institutionnelles.
Et nous avons d'autant plus d'intérêts à réfléchir
aujourd'hui, que la question risque finalement de nous être posée
directement. Le gouvernement envisage un référendum consultatif
au cas où les élus ne se mettraient pas d'accord sur le texte.
Même si les élus de la Corse sont réunis aujourd'hui (les
maires de Haute Corse sont réunis en ce moment pour prendre position
commune) pour trouver un consensus, car ils n'ont pas envie de rencontrer leurs électeurs
sur ce sujet, ne faut-il pas que les citoyens prennent enfin la parole pour
dire, eux, directement, ce qu'ils veulent?
Le débat d'aujourd'hui est aussi l'occasion de la leur donner.
Nous avons organisé ce débat non pas pour élaborer une
position, non pas pour choisir, mais pour permettre à chacun de faire
son choix en connaissance de cause et pour réclamer qu'enfin la parole
soit donnée au peuple.
DOMINIQUE BUCCHINI CONSEILLER TERRITORIAL
« La citoyenneté au cœur de la décentralisation »
Je ne suis pas forcément un homme de consensus et voudrais ici rétablir
quelques vérités d'évidence en situant quelques responsabilités.
La situation économique de la Corse n'est pas bonne. Et sans trop polluer
le débat avec une kyrielle de chiffres, sachez que nous sommes champions
de France du chômage, du RMI et de l'aide sociale. Avec un PIB par habitant
inférieur à celui des autres régions Françaises.
Et même si cela dépend de politiques nationales, il est juste
de dire que la droite qui dirige l'Assemblée de Corse depuis 1984, doit
quand même avoir quelques responsabilités. J'y vois là une
des raisons qui poussent Monsieur José Rossi à parler encore
et toujours d'institution au lieu d'intervenir sur la situation économique
et sociale de la Corse. Parce qu'en Corse, il y a aussi la Corse d'en haut,
celle d'en bas et celle du sous sol avec précarité accrue. Pour
ma part, je situe mon combat pour défendre ceux qui souffrent. Eux ne
comprennent pas que l'Assemblée de Corse vote son dernier compte administratif
où l'on trouve 25 milliards d'ancien Francs non consommés. Et
si l'on regarde de prés l'accomplissement du contrat de plan qui unit
la Corse et l'Etat et si l'on suit attentivement la consommation des crédits
Européens, on s'aperçoit que les fonds publics arrivent en Corse,
solidarité Nationale oblige.
Ajoutons à cela les 13 milliards de francs nouveaux contenus dans la
loi du 22 janvier 2002 et vous conclurez aisément que nous sommes la
région la plus riche de France. Nous voilà donc devant un immense
chantier qui, au niveau de la réflexion et de l'action, devrait nous
prendre beaucoup plus de temps que celui consacré aux institutions.
Il faut chez nous comme ailleurs, faire reculer le chômage et donner
l'espoir à la jeunesse. Or la mauvaise situation dure et perdure et
les statuts défilent.
Un projet pour affaiblir l'Etat
Soyons clairs! C'est bien la droite qui, en 75, a coupé la Corse en
deux départements. Et vous reconnaîtrez aisément qu'il
n'était pas facile pour les communistes de Haute Corse d'avoir à s'opposer à la
création d'une Préfecture et d'un Conseil Général à Bastia
avec les créations de services publics et d'emplois.
Nous avons eu après la Loi de décentralisation de 1982, un bienfait,
puis le Statut Joxe et il y a peu, la Loi Jospin. A présent la Corse, à travers
ses élus, s'enflamme pour la collectivité unique ... ou non.
Je te dis tout net: cette réforme Raffarin tend à procéder à un
profond bouleversement des institutions de la France. Nous sommes en présence
d'un projet politique fort. La droite a plusieurs objectifs.
1-Affaiblir l'Etat dans ses fonctions de solidarité, de régulation
et de services aux populations. Un Etat tel qu'il est aujourd'hui est un frein à la
libre circulation des capitaux et des hommes mais également à la
construction d'une Europe libérale. Il y a un parallèle à établir
entre cette construction et la décentralisation proposée.
2- Dégager l'Etat d'une partie de ses responsabilités en les
transférant sur les collectivités territoriales et les impôts
locaux, ce qui aggravera les inégalités.
3- Casser la cohérence nationale en favorisant la constitution de fiefs électoraux
avec des monarques plus ou moins républicains.
4-lnstaller durablement la 1 bipolarisation dans le paysage politique Français
en reléguant aux oubliettes les minorités, ce qui est contraire
aux meilleures traditions de notre pays.
5-Nous le disons avec une certaine solennité: la décentralisation
ce n'est pas une question de transferts de compétences et de pouvoirs
du haut vers le bas. C'est au contraire une véritable décentralisation
citoyenne de coopération. C'est la question du choix de société qui
est posée. En finir avec une vision unique de l'aménagement du
territoire.
. Redéfinir les relations Etat- Collectivités Territoriales,
. Clarifier les rôles entre collectivités,
. Réformer la fiscalité,
. Mettre la citoyenneté et la démarche participative au cœur
de la décentralisation,
. Réfléchir à l'articulation féconde entre la démocratie
délégataire et la démocratie participativeimpliquant en
permanence les citoyens dans tous les secteurs de la société.
C'est donc le contraire qui nous est proposé. Et je m'inscris en faux
contre certaines affirmations.
Il y a en Corse top de collectivités donc trop d'élus. Est-ce
un mal? Non. Plus il y a de gens qui s'occupent de la chose publique, mieux
cela vaut.
Il faut supprimer les Conseils Généraux et cette opération
ne devrait être qu'insulaire. Pourquoi?
A ce propos, nous ne sommes pas pour le statut quo. La société évolue
et chacun sent bien qu'il faut rééquilibrer le rural et l'urbain
et élire les conseillers généraux à la proportionnelle.
Il faut définir la place de la Corse dans l'Europe en insistant sur
l'idée que la région Corse pourrait jouer un rôle dans
le concert de l'Europe des régions. Je ne partage pas ce point de vue
si l'on est bien en mesure de saisir les visées du libéralisme.
Chers compatriotes, nous sommes une petite région et nous ne pouvons
pas avoir la prétention de rivaliser avec d'autres plus riches. La droite,
avec sa réforme, va creuser les inégalités entre régions
et nous aurons une France à 2 vitesses, source d'inégalités
profondes. Et tous ceux, sauf nous, qui ont fait le déplacement à Bruxelles
pour rencontrer Prodi, devraient ouvrir les yeux.
L'exemple Français
Il vaudrait mieux arrêter la litanie de chanter les louanges de cette
Europe. Elle est, qu'on la veuille ou non, libérale. Ce n'est pas, loin
de là, l'Europe sociale que nous souhaitons. Et tous ceux qui vont gaiement à Bruxelles
pour sauter l'étape de Paris veulent en définitive nous faire
admettre qu'il faut faire sauter le carcan national en parant Bruxelles de
toutes les vertus. Mais le cadre National est toujours d'actualité.
Il faut combattre, riposter à la politique de la droite.
On a comparé la situation administrative de la France à celle
d'autres pays Européens en avançant des exemples à suivre.
Je vais à nouveau le dire sans ambages. Si des comparaisons et des évolutions
politiques sont toujours nécessaires et significatives, il faut aussi
raison garder.
Et pourquoi ne pas partir de l'exemple Français? Faut-il considérer
que l'histoire de notre pays, ses traditions, ses luttes venues de loin, 1789,
la Commune de Paris, la Résistance, sont à ranger aux oubliettes?
Assurément non.
En tenant compte de notre riche passé, je pense, à travers nos
différenciations politiques, qu'il y a assez d'hommes et de femmes pour
dégager les voies et les moyens de l'avenir. A condition de prendre
en compte aussi les besoins des plus démunis.
Le Parti Communiste votera contre cette décentralisation proposé par
M. Raffarin. Car avec cette réforme on crée les conditions d'un
changement complet de nos institutions. Elles doivent certes évoluer,
mais pas dans ce sens.
Avec eux, nous rentrons de plus en plus vite dans l'américanisation
de la vie dans notre pays. Et cela nous ne le voulons pas. Et nous le combattrons
avec tous ceux et toutes celles qui voudront bien nous accompagner.
MICHEL SCARBONCHI Député au parlement européen
Un risque d’enfermement
Je tiens tout d'abord à remercier l'association Kallisté et plus
particulièrement son Président, Sixte Ugolini, de nous donner
l'occasion de nous retrouver aujourd'hui et de nous interroger sur la Corse
et la décentralisation. La Corse est aujourd'hui plongée dans
un nouveau débat institutionnel: la suppression des départements
au profit d'une collectivité unique qui concentrerait en un lieu unique
les compétences et les moyens de l'actuelle collectivité territoriale
et des deux départements.
Aussi, revenons un instant sur la relance du processus de décentralisation
en France.
Les réformes opérées en 1982 ont mis en marche un processus
d'envergure que certains qualifient d'irréversible. Les défenseurs
de la décentralisation, comme ses adversaires d'alors, s'accordent sur
ce point. La grande réforme du premier septennat de François
Mitterrand constituait incontestablement une nouvelle donne, en rupture avec
deux siècles de centralisation administrative et politique.
Et pourtant, alors que la France fête les vingt ans des lois de décentralisation
qui ont renforcé les départements et donné aux régions
le rôle de collectivités locales, jamais le débat sur le
transfert de compétences de l'Etat n'a été aussi difficile,
passionné et contradictoire.
Les questions désormais soulevées sont simples: quelle suite
devons-nous donner à la décentralisation? Jusqu'où faut-il" pousser" cette
décentralisation et comment?
Le nouveau projet gouvernemental
Le gouvernement est décidé à faire de son projet de loi
sur la décentralisation un tournant dans l'organisation institutionnelle
de notre pays. Jean-Pierre Raffarin a déjà dit à plusieurs
reprises que la décentralisation sera "le grand enjeu du quinquennat".
Les principaux points du projet de loi constitutionnelle sur la décentralisation,
dont l'article1er stipule que l'organisation de la République sera désormais" décentralisée" sont:
La subsidiarité
" Les collectivités territoriales ont vocation à exercer l'en-
semble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à l'échelle
de leur ressort", souligne le texte: c'est le "principe de subsidiarité".
L'expérimentation
Le texte accorde aux collectivités locales un "droit à l'expérimentation",
sauf "lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une
liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti".
Cette disposition permet à une collectivité de prendre en charge
pendant une période donnée la responsabilité d'un domaine
de compétences, par exemple la gestion des hôpitaux ou la construction
des routes. A l'issue de cette période d'essai, le Parlement serait
appelé à se prononcer sur la pertinence de cette expérimentation.
Les référendums
Désormais, les projets relevant de la compétence d'une collectivité" peuvent, à son
initiative, être soumis par la voie du référendum à la
décision des électeurs". Le citoyen peut également être
consulté localement "lorsqu'il est envisagé la création
d'une collectivité territoriale dotée d'un statut particulier
ou de modifier son organisation". Les réorganisations territoriales
fusion de deux départements par exemple - peuvent également être
soumises à référendum. L'électeur se voit également
accorder un "droit de pétition" lui permettant de demander
l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée locale d'une question
relevant de sa compétence.
Les régions
Le projet de loi fait entrer pour la première fois la région
dans la Constitution, tout comme le département et la commune.
Face à un tel projet, nous devons réagir pour préserver
l'Etat unitaire et maintenir la Corse dans la République.
Alors que son unité demeure constitutionnellement protégée
- "La France est une République indivisible "- le projet gouvernemental
nous entraîne vers une fragmentation du territoire et le délitement
de l'Etat républicain.
En effet, bien que Jean-Pierre Raffarin se pose en défenseur de la "République
des proximités", le fédéralisme, sous- jacent dans
son projet, notamment par la mise en place du principe de subsidiarité,
enfermerait les citoyens dans leurs particularismes et handicaperait la France
en affaiblissant la cohésion nationale et le rôle que notre pays
doit jouer en Europe et dans le monde. La Constitution de 1958 n'a pas été conçue
dans la perspective d'un Etat décentralisé, avec de véritables
gouvernements locaux.
Seul l'Etat républicain est garant de l'unité nationale et de
son territoire: seul l'Etat républicain, peut mettre en œuvre une
politique d'aménagement du territoire équilibrée. Le pouvoir
central demeure, en dernière instance, l'organe d'impulsion, garant
de l'unité nationale.
Le projet du Gouvernement institue un droit à l'expérimentation
qui remettra en cause, tôt ou tard, le principe de l'unicité de
la loi. Quant au référendum régional, il consacre une
expression régionale et encourage les revendications autonomistes. Un
tel projet devra être soumis à référendum.
Jacques Chirac s'y est engagé solennellement: "Les Français
devront naturellement être consultés par référendum
sur cette réforme essentielle."
La France est en pleine recomposition territoriale
Elle a toujours vécu sur le système de la commune, du canton,
du département et de l'Etat. Une autre organisation semble se mettre
en place, qui met l'accent sur l'inter- communal à la fois rural et
urbain, sur la question de l'infra-régional qu'on appelle "le pays",
sur le rôle de plus en plus important que joue la région et enfin
sur l'échelon européen. Un niveau semble en faire les frais:
le canton. Toutefois, dans le cadre du débat autour de la simplification
et de la clarification de 1 notre organisation territoriale, nous ne devons
pas affirmer qu'il y a un échelon de trop. Le problème n'est
pas celui du nombre d'échelons, mais celui de l'emboîtement.
C'est pourquoi, les départements ne doivent pas être remis en
cause. En aucun cas, il ne s'agira de dépouiller arbitrairement de ses
compétences une collectivité; l'important est de déterminer,
pour l'exercice de chaque compétence, le bon niveau permettant d'assurer
plus d'efficacité, de démocratie et d'égalité entre
les citoyens.
" Décentraliser dans la République"
Si le politique veut retrouver quelque influence sur la marche du monde, ce
sera en intégrant de façon significative le niveau européen.
Mais, précisément, parce que les frontières s'élargissent,
voire disparaissent, éloignant les pouvoirs centraux, les rendant de
plus en plus virtuels, il est indispensable de retrouver des proximités
territoriales, à l'échelle humaine. C'est dans cet espace commun
maîtrisable et gouvernable, que vont pouvoir s'épanouir des coopérations
concrètes entre tous les acteurs fondées d'une part sur la tolérance,
l'ouverture à autrui, la propension à l'échange et d'autre
part, sur la réactivité et la polyvalence. La République
- rénovée, modernisée dans ses pratiques et ses rapports
aux citoyens - fournit ce cadre.
Pour le garantir, nous devons refuser l'évolution constitutionnelle
de la décentralisation et rejeter les expérimentations hasardeuses
dans ce domaine. Le statut particulier qui pourrait être octroyé à certaines
collectivités - et notamment à la Corse - portera gravement atteinte à l'édifice
républicain.
Le cas corse pose des problèmes d'une plus vaste ampleur encore que
ceux liés à l'outremer et à son évolution. D'abord
en raison de la violence endémique à laquelle tous les gouvernements
se sont heurtés de- puis une trentaine d'années. Mais aussi parce
que la force de la revendication identitaire en Corse, renforcée par
l'insularité, est de nature très différente de ce qu'elle
peut être outre-mer: d'une part, nous ne sommes pas ici dans un contexte
de règlement de problèmes néo- coloniaux; d'autre part,
la proximité du continent peut facilement faire considérer la
Corse comme un modèle, pour nombre d'autre régions.
En définitive, une décentralisation, que l'on pourra qualifier
de républicaine, doit s'inscrire dans la continuité de notre
organisation administrative et politique, défendre les acquis et en
revenir à l'esprit des lois de décentralisation de 1982. Elle
s'inscrit, enfin, dans le strict respect de l'ordre de la République "une
et indivisible".
Quant à la Corse, elle à besoin d'une pause institutionnelle,
qui avec le retour de la tranquillité publique, permettrait de concentrer
les efforts autour du seul enjeu majeur pour l'île, son développement économique,
social et culture.
Et c'est dans ce contexte, et sans tourner le dos à la France, que les
Corses s 'intéressent de plus en plus à l'Europe et à la
Méditerranée. L'Europe car elle offre des perspectives de développement
et de soutien à l'économie locale, la Méditerranée
parce qu'elle est le cadre traditionnel des relations extérieures et
qu'avec ses nombreuses îles, une solidarité spécifique
se met en place, motivée par les mêmes handicaps et portée
par des cultures semblables.
EMILE ZUCCARELLI DEPUTE MAIRE
DE BASTIA
Contre un toboggan vers l’indépendance
Je dois rappeler d'abord que notre île, c'est peu de le dire, est, depuis
20 ans à la pointe de la décentralisation. Elle a vécu
depuis 1982 trois statuts.
Il semble que l'on veuille nous en préparer un quatrième. Je
ne suis pas suspect d'être l'adversaire de la décentralisation.
Bien au contraire, ministre de la décentralisation de 1997 à 2000,
j'ai, avec d'autres,
largement contribué à approfondir celle-ci, par exemple dans
le cadre du développe- ment de l'intercommunalité.
Mais je crois que la Corse a besoin, en ce début de 21e siècle,
plus que d'un énième statut, de mobiliser ses forces pour assurer
son développement économique, social et culturel ou encore le
renforcement de ses infrastructures.
On le voit, la subrogation est à l'opposé de toute concentration
du pouvoir, au niveau national comme régional.
Pourtant, le nouveau projet que d'aucuns voudraient imposer à la Corse,
avec la suppression des départements et la création d'une collectivité unique,
va totale- ment à l'encontre de ces principes.
Ce projet serait très néfaste pour notre île. Il engendrerait,
en effet, une concentration de pouvoirs inouïe en un seul lieu, entre
les mains de quelques uns, et relancerait un déséquilibre interne
de la Corse rappelant fâcheuse- ment ce que nous avons connu entre 1945
et 1975.
Conforter et non supprimer les départements
Faute de pouvoir imposer leur projet de collectivité unique dans sa
version initiale, ses auteurs semblent imaginer désormais un schéma
qui maintiendrait des pseudos entités départementales - à l'exemple
des arrondissements parisiens - dont on voudrait nous faire croire qu'elles
seraient identifiables aux actuels conseils généraux.
En fait, elles seraient sans compétence propre et à vocation
essentiellement consultative. Un tel projet c'est, en fait, la suppression
des départements. Purement et simplement.
Puisque certains se réfèrent à l'exemple parisien, demandons
aux maires d'arrondissements de Paris ce qu'ils pensent de leurs prérogatives.
Ils nous diront, ils m'ont dit, qu'ils n'ont aucun pouvoir ou presque. Et aucun
moyen pour mettre en œuvre des décisions que, de toutes façons,
ils ne sont pas compétents pour prendre.
Bien sûr, on peut, on doit imaginer, envisager, des adaptations, des
modifications au dispositif actuel pour le rendre plus opérant.
Mais, loin de supprimer les départements, il nous faut conforter leur
rôle et leurs compétences. Au lieu de sur- charger une collectivité territoriale
qui a, et aura, déjà bien du mal à assumer la plénitude
des attributions qui sont les siennes aujourd'hui. Il faut également
clarifier les compétences respectives des départements et de
la CTC pour éviter les empiètements inutiles. En outre, je propose
de créer une instance permanente de concertation entre les grandes collectivités
locales de l'île, qui fonctionne, elle, effectivement. Elle sera le lieu
de coordination des politiques communes lorsque cela sera nécessaire.
Enfin, j'ai demandé à l'Etat- un audit des deux conseils généraux
et de la collectivité territoriale.
L'un des principaux arguments des tenants de la collectivité unique
tient, en effet, à la dérive des coûts des collectivités
existantes. Collectivités que, par parenthèse, ils dirigent ou
ont dirigées. Il importe donc d'identifier l'origine de cette situation
et, le cas échéant, la façon d'y remédier.
Notre région dispose déjà, en effet, de compétences
considérables. Il lui faut, avant d'en réclamer de nouvelles,
s'employer à mettre pleine- ment en œuvre celles dont elle a déjà la
charge.
La loi de janvier 2002 qui a transféré d'importantes attributions à la
collectivité territoriale de Corse doit ainsi être pleinement
mise en œuvre avant de revendiquer encore et toujours des évolutions.
En fait, il me semble que, depuis trop longtemps, certains, sous couvert de
décentralisation, cherchent à engager la Corse dans une spirale
dangereuse.
Que le gouvernement se préoccupe de la bonne mise en œuvre du PEI,
de conforter les mesures financières ou fiscales favorables à la
Corse, ou encore de définir des conditions équitables pour le
transfert des compétences prévu dans la loi de janvier 2002 que
j'évoquais à l'instant, je n'y vois qu'avantages.
En revanche, je déplore que le gouvernement- les gouvernements successifs
d'ailleurs - aient cédé et cèdent encore au réflexe "pavlovien" d'envisager
une énième réforme institutionnelle.
Car il s'agit, à chaque fois, chacun le sait bien, d'abord de faire
plaisir aux séparatistes.
La décentralisation, faut-il le rappeler, c'est le rapprochement des
lieux de décisions du citoyen concerné.
Améliorer l'existant
Cette vérité implique deux rappels:
D'abord la décentralisation ne peut que s'inscrire dans le cadre républicain.
Or les séparatistes, ils ne s'en cachent pas, entendent, sous couvert
de la politique des petits pas décentralisateurs, entraîner la
Corse et les Corses là où ils ne veulent pas aller: vers l'indépendance.
C'est pourquoi, défenseur d'une décentralisation maîtrisée,
je m'opposerai toujours farouchement à toute mesure qui pourrait s'apparenter à un
toboggan vers l'indépendance. Hier, la reconnaissance juridique du peuple
Corse ou la dévolution d'un pouvoir législatif de plein exercice à la
collectivité territoriale; demain, je ne sais quelle mesure dangereuse,
inspirée par les nationalistes, pour le nationalisme. Avec la complicité d'élus
dont je préfère croire qu'ils demeurent aveugles aux risques
qu'ils font prendre à la Corse et à sa place dans la République.
Ensuite, la décentralisation c'est le rapprochement du pouvoir et du
citoyen dans le cadre du principe de la subrogation qui sera désormais
affirmé dans la Constitution: les décisions doivent pourvoir être
prises, dans le respect de l'égalité des droits, par la collectivité la
plus proche du terrain.
Plutôt qu'une solution extrémiste et à mon sens néfaste,
cet audit pourra proposer des pistes de clarification des compétences
pour améliorer l'existant au lieu de vouloir créer à tout
prix une structure institutionnelle unique, déséquilibrée
et centralisée, qui serait en outre, longue à mettre en place.
Je rendrai, pour ma part, publiques la semaine prochaine des propositions extrêmement
précises sur ces différents points. Et on verra ainsi que, loin
d'être pour le statu quo, je défends des propositions innovantes.
Mes chers amis, la Corse a un bel avenir dans la République. Pour peu
qu'elle utilise les outils qui lui sont offerts par la décentralisation,
les formidables compétences dont disposent ses collectivités
locales, ou encore les moyens qui lui sont affectés, notamment dans
le cadre du plan exceptionneld' investissement, pour assurer son développement économique,
social et culturel.
Et non pour s'engager un peu plus avant - sous la pression des poseurs de bombes
et des affairistes de tous poils, désormais indéfectiblement
liés - dans une aventure sans issue dont la Corse et les Corses auraient
tout à perdre.
Comme vous, je crois en l'avenir de la Corse, à ses forces et à ses
atouts.
Avec vous, je l'espère, j'entends continuer à me battre pour
défendre sa place dans la République. .
LOUIS
DOMINICI Ancien Ambassadeur de France Rome
Président de la Mutuelle des Affaires étrangères à Paris
Approfondir la vie démocratique
Se référant, d'une part, à son expérience au plan
national et international, ainsi qu'à son expérience d'ancien
Conseiller général de la Conca d'Oro et, d'autre part, à l'essai
politique qu'il venait de publier en Janvier 2003 sous le titre: "Corse,
Message à ceux qui nous gouvernent", Louis Dominici a choisi de
concentrer son intervention sur trois points:
1- la réforme de l'organisation politico- administrative de la Corse
dans le cadre du nouveau statut;
2 - l'importance du développement économique, culturel et social
et les moyens de le favoriser;
3 - le développement de la relation internationale de la Corse.
. Sur la question de la réforme politico- administrative de la Corse,
dans le cadre du nouveau statut, l'Ambassadeur a constaté que le débat
se limitait à l'excès à la question de savoir comment
partager ou ne pas partager le pouvoir entre l'Assemblée de Corse et
les deux actuels Conseils généraux.
Il a souhaité que le débat se recentre sur la vraie question
qui se pose en Corse, comme ailleurs, et qui est celle de l'approfondissement
de la vie démocratique, depuis la capitale régionale jusqu'à la
plus petite commune, dans un vrai dialogue continu, prenant aussi en compte
les opinions et les intérêts des minorités, même
lorsqu'elles n'ont pas d'élus. Une réflexion était nécessaire
dans toute l'île à ce sujet. Elle pouvait être menée
rapidement, sans retarder la définition et l'adoption du nouveau statut
de la Corse en 2003.
Soutenir l'initiative économique
. Sur la question du développement économique, culturel et social,
Louis Dominici a évoqué les grands axes du développement
actuel (tourisme, agriculture et élevage, commerce et autres services),
ainsi que la nécessité de soutenir une diversification des activités, à commencer
par la production et l'exportation de biens culturels (musique, artisanat,
création artistique). D'une manière générale, les
nouvelles technologies, les facilités des télécommunications
(incluant internet) pouvaient ouvrir la voie à tout une gamme d'activités
de développement de la richesse immatérielle.
Louis Dominici a souligné l'intérêt pour les pouvoirs publics
de s'orienter vers un véritable soutien à l'initiative économique
individuelle et familiale pour la création ou la croissance des petites
et moyennes entreprises. Ce devrait être, là, l'axe majeur de
l'aide au développement.
. Abordant la question de la relation internationale de la Corse, il a rappelé qu'elle
existe déjà, au plan public (relations avec la Commission européenne
notamment, ou la Commission des îles méditerranéennes)
et au plan privé (tourisme, importations et exportations), et montré combien
il importait qu'elle puisse être renforcée sous la forme la plus
qualitative.
D'autres voies étaient à explorer: comment la Corse peut-elle
devenir une base de commerce maritime entre les pays de la Méditerranée
et au- delà? Comment la Corse peut-elle devenir un lieu privilégié de
rencontres culturelles, où même de rencontres politiques internationales
et notamment méditerranéennes?
Après le débat, l'Ambassadeur Louis Dominici est intervenu à nouveau
pour souligner combien il appréciait que le colloque ait donné lieu
non pas à une confrontation mais à un échange. Il avait
souhaité pour sa part, à ce stade, apporter non pas tellement
des réponses mais surtout des questions, sur lesquelles une réflexion
collective était urgente.
Dans ce contexte, il a exprimé le vœu qu'en ce début de
février, le gouvernement, les élus corses, les représentants
socio-professionnels et, plus largement, le plus grand nombre d'habitants de
l'île puissent débattre, exprimer des préoccupations et
formuler des propositions sur les thèmes de l'approfondissement démocratique
de la vie publique en Corse et du soutien au développement économique,
culturel et social, avant que le statut soit adopté dans sa forme définitive.
Il était encore temps.
ALAIN
NAPOLEONI Conseiller du président de l’Assemblée
de Corse
Une réforme nécessaire pour la Corse
Pourquoi une nouvel- le réforme? La Corse dispose au sein de la République
française d'un statut particulier de Collectivité Territoriale
depuis la loi du 2 mars 1982.
La loi du 13 mai 1991 a organisé les institutions de la Collectivité territoriale
de manière spécifique en créant un Conseil Exécutif
en charge de la Direction de l'action responsable politiquement devant l'Assemblée.
Enfin la loi du 22 janvier 2002 a organisé de nouveaux transferts de
compétences vers la Collectivité Territoriale.
Pourtant, même si la décentralisation est beaucoup plus avancée
en Corse que dans les autres régions françaises, force est de
constater que sur un si petit territoire (l'équivalent d'un quartier
de Marseille), la coexistence à côté de la Collectivité Territoriale,
des deux départements, ne lui permet pas d'exercer efficacement la pleine
mesure de ses responsabilités.
Dans de nombreux domaines de compétences essentiels pour les Corses,
dans leur vie quotidienne (aménagement du Territoire, développement économique,
politique, sociale, protection de l'environne- ment, lutte contre les incendies...)
la superposition des structures (Etat - Europe. Région - Département
- Communautés de communes - Offices Communes...) entraîne l'irresponsabilité une
mauvaise utilisation de l'argent public
. l'inégalité des citoyens corses devant l'impôt
. l'impossibilité de mettre en place des politiques! cohérentes
Cette réforme nécessaire pour la Corse et les Corses s'inscrit
dans le cadre de la réforme de la constitution de la République
Française qui doit être votée début mars 2003 en
congrès à Versailles.
Ainsi, les corses seront des précurseurs d'une République moderne
et décentralisée.
Les grandes lignes de la réforme
. Une région unique, une seule Collectivité Territoriale englobant
les compétences de la Collectivité Territoriale actuelle et celles
des ex-conseils régionaux ayant la personnalité morale un seul
budget, une politique régionale cohérente, avec un traitement égal
de tous les Corses de Bonifacio à Centuri.
. Des Conseillers Régionaux élus sur une liste à la représentation
proportionnelle représentant le Nord et le Sud de la Corse et en respectant
strictement les règles de la parité.
. Des Conseillers Régionaux qui définiront les grandes politiques
régionales et leurs modalités d'application suivront, sur le
terrain dans deux structures territoriales en Haute-Corse et en Corse-du-sud,
l'application de ces politiques.
. L'unification d'une politique régionale cohérente ne fait donc
pas obstacle à des politiques de proximité. Demain, pour les
Maires pour les associations, plutôt que de prendre leur bâton
de pèlerins pour négocier avec plusieurs structures, ils auront
un interlocuteur unique et clairement identifié.
. La nouvelle Collectivité Territoriale privilégiera les Communautés
de Communes (dont la constitution est en retard sur notre île) et qui
constitue le vrai échelon de proximité entre la commune dont
personne ne remet en cause l'existence et la Collectivité Territoriale.
. L' Etat conservera son organisation décentralisée sur le territoire.
BASTIA disposera des mêmes services qu'aujourd'hui, avec le maintien
de son Préfet comme représentant de l'Etat.
Ce qui doit être proposé aux Corses* par voie référendaire
(dans le cadre du référendum consultatif prévu dans la
réforme constitutionnelle), c'est d'achever la réforme institutionnelle
de la Corse en dotant l'île de moyens efficaces pour faire face aux défis
de demain. L'engagement de l'Etat autour du P.E.I (plan exceptionnel d'investissement
- 1.98 milliards d'euros pour 15 ans) suppose des mécanismes institutionnels
efficaces pour en tirer le meilleur parti dans l'intérêt de la
Corse.
* (Bien entendu dans le cadre strict de l'application de la constitution française
,seuls les électeurs inscrits sur les listes électorales en Corse
pourront se prononcer).
RICHARD GHEVOTIAN Professeur de droit constitutionnel à la
faculté d’Aix-en-Provence
Directeur de recherches au GRJC
La donne juridique et politique a changé
Il y a maintenant deux ans, j'avais été convié a évoquer
devant votre association les obstacles constitutionnels qui pouvaient se dresser
sur la route du projet de nouvelle organisation de la Corse tel que l'avait
préparé le gouvernement Jospin au terme du processus dit de "Matignon"
Aujourd'hui, si le sujet est toujours identique - quel avenir institutionnel
pour la Corse? la donne juridique et politique a changé.
Tout d'abord au plan strictement juridique, le Conseil Constitutionnel a rendu
le 17 janvier 2002 une décision très importante sur ce projet
qui confirmait largement les réserves que j'avais émises sur
le projet initial.
Politiquement, la réélection de Jacques Chirac et la nomination
de Jean-Pierre Raffarin ont eu pour conséquence une relance du processus
dans un contexte nouveau; alors que te projet Jospin prévoyait une réforme
par la loi avant une réforme de la Constitution, c'est la démarche
inverse qui a été retenue aujourd'hui.
Avant de présenter les principaux éléments de cette nouvelle
donne, il paraît utile de rappeler les principales étapes du cheminement
du projet sur la Corse.
Des Accords de Matignon au projet de révision sur la décentralisation
Les principaux problèmes constitutionnels posés par le projet
Jospin:
1 - Le référendum
La problématique était ici la suivante: Peut-on organiser un
référendum pour consulter une partie de ta population sur une
question relative à l'organisation statutaire de la collectivité à laquelle
elle appartient?
Incontestablement, la réponse ne pouvait alors être que négative.
Sans changer la Constitution, une telle consultation était impossible
comme le relève a contrario une décision récente du Conseil
Constitutionnel (Déc. 2000-428 OC du 4 mai 20007 Consultation de la
population de Mayotte.)
" Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa du Préambule
de la Constitution de 1958:
" En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination
des peuples, la République offre aux territoires d'outre-mer qui manifestent
la volonté d'y adhérer des institutions nouvelles fondées
sur l'idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité et
conçues en vue de leur évolution démocratique" ; que,
pour la mise en oeuvre de ces dispositions les autorités compétentes
de la République sont dans le cadre de la Constitution, habilitées à consulter
les populations d'outre-mer intéressées, non seulement sur leur
volonté de se maintenir au sein de la République française
ou d'accéder à l'indépendance, mais également sur
l'évolution statutaire de leur collectivité territoriale à l'intérieur
de la République; que, toutefois dans cette dernière éventualité,
les dites autorités ne sauraient être liées) en vertu de
l'article 72 de la Constitution, par le résultat de cette consultation.
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que
la consultation organisée par la loi déférée en
vue de recueillir l'avis de la population de Mayotte sur l'accord précité du
27 janvier 2000 trouve un fondement dans le deuxième alinéa du
Préambule de la Constitution de 1958".
Le Conseil Constitutionnel a admis qu'une telle consultation trouvait son fondement
dans les principes de libre détermination des peuples des territoires
d'outre-mer et de libre expression de leur volonté consacrés
par le deuxième alinéa du Préambule de la Constitution
de 1958.
En conclusion et à contrario en dehors de l'Outre Mer, il n'y a pas
de référendum possible même consultatif.
Du coup, le projet Jospin ne fera plus état de cette consultation jusqu'à l'intervention
future d'une révision de la Constitution.
2 - Le pouvoir législatif délégué à titre
expérimental
Malgré les réserves émises par de nombreux constitution
na listes, le Gouvernement Jospin avait maintenu dans son projet (article 1)
qu'à la demande de l'Assemblée de Corse une loi peut prévoir à titre
expérimental, la possibilité pour la collectivité territoriale
de prendre des mesures d'adaptation de dispositions législatives."
3 - L'enseignement de la langue corse
L'enseignement obligatoire de la langue corse dans les établissements
scolaires insulaires avait donné lieu à des débats très
passionnés.
Pour éviter la censure du Conseil Constitutionnel, le projet avait été amendé pour
atténuer le caractère obligatoire de cet enseignement, celui-ci
pouvant être remis en cause par la "volonté contraire des
parents."
La décision du Conseil Constitutionnel du 17 janvier 2002 (2001-454
DC)
1 - Le pouvoir législatif délégué (à titre
expérimental)
Comme cela était prévisible, le Conseil Constitutionnel a censuré les
dispositions de l'article 1er autorisant cette délégation à titre
expérimental
" Considérant, en l'espèce, qu'en ouvrant au législateur;
fût-ce à titre expérimental, dérogatoire et limité dans
le temps, la possibilité d'autoriser la Collectivité Territoriale
de Corse à prendre des mesures relevant du domaine de la loi, la loi déférée
est intervenue dans un domaine qui ne relève que de la Constitution."
2 - L'enseignement de la langue corse
Le Conseil Constitutionnel a validé sur ce point le projet en précisant
que « si l'enseignement de la langue corse est prévu » dans
le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires ",
il ne saurait revêtir pour autant un caractère obligatoire, ni
pour les élèves, ni pour les enseignants; qu'il ne saurait non
plus avoir pour effet de soustraire les élèves aux droits et
obligations applicables à l'en-
semble des usagers des établissements qui assurent le service public
de l'enseignement ou sont
associés à celui-ci (..)
Cette décision est tout à fait conforme à la jurisprudence
de principe du Conseil du 15 juin 1999 (Dec 99-412 DC Charte européenne
des langues régionales ou minoritaires) :
" Considérant qu'il résulte de ces dispositions combi- nées
que la Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires, en ce qu'elle confère des droits
spécifiques à des "groupes" de locuteurs de langues
régionales minoritaires, à l'intérieur de "territoires" dans
lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels
d'indivisibilité de la République, d'égalité devant
la loi et d'unicité du peuple français. "
(De manière plus spécifique à la langue corse, voir la
décision du 9 mai 1991 Statut de la Corse et
pour la langue bretonne à propos des écoles Diwan, la décision
du 27 décembre 2001 Loi de finances 2002)
Loi du 22/01/03 La nouvelle donne constitutionnelle
1. Le cadre: la Constitution
La principale nouveauté apportée par le projet de loi sur la
décentralisation réside dans le niveau normatif qui a été choisi
a savoir celui de la Constitution. Ainsi, les réformes à venir
dans ce domaine, qu'elles concernent le cadre général ou celui
plus spécifique d' une région en particulier, pourront se fonder
sur de nouvelles règles constitutionnelles qui ouvriront des perspectives
jusqu'ici inédites a la loi.
Ce texte général est ainsi très important pour la Corse
comme l'a claire- ment révélé le Premier Ministre dans
son intervention devant le Sénat:
" Je prends l'exemple du débat sur la Corse, débat important,
débat difficile. Nous voulons participer au développement de la
Corse. Nous avons confiance dans le potentiel de la Corse, comme nous avons confiance
dans la capacité de la Corse à faire face a son destin. Nous sommes
convaincus que les élus de Corse peuvent proposer aujourd'hui des perspectives
qui mobiliseront l'opinion publique et qui feront participer les Corses eux-mêmes à l'avenir
de la Corse. A cet égard, les propositions faites par M. le ministre de
l'intérieur vont dans la bonne direction, celle qui trace une route d'avenir
ouverte à l'ensemble des citoyens qui veulent partager cette perspective.
C’est pour cette raison que le référendum est très
important: il permettra de simplifier nos institutions. Quand les citoyens estiment
qu'il n'est pas forcé- ment la peine de maintenir un empilement de structures
et que l'on peut simplifier pour rendre les structures plus proches, alors consultons
la population ! Et si les deux Savoie veulent constituer un grand département
de Savoie, et si les deux départements d'Alsace veulent de même,
constituer un grand départe- ment, pourquoi ne pas laisser ces projets
progresser:"
2 - Les problèmes soulevés par les accords de Matignon et la
nouvelle donne constitutionnelle
Deux problèmes précédemment cités sont ainsi réglés:
Celui de l'expérimentation "Dans les conditions prévues
par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles
d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement
garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent,
lorsque selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger à titre
expérimental et pour un objet et une durée limités, aux
dispositions législatives ou réglementaires qui régissent
l'exercice de leurs compétences."
Celui du référendum:
Dans les conditions prévues par la loi organique, les projets de délibération
ou d'acte relevant de la compétence d'une collectivité territoriale
peuvent à son initiative, être soumis par la voie du référendum, à la
décision des électeurs de cette collectivité.
" Lorsqu'il est envisagé de créer une collectivité territoriale
dotée d'un statut particulier ou de modifier son organisation, il peut être
décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits dans
les collectivités intéressées. La modification des limites
des collectivités territoriales peut également donner lieu à la
consultation des électeurs dans les conditions prévues par la loi." (art.).
C'est donc sur le fondement de cet article que pourra être organisé le
6 juillet 2003 un référendum sur le futur statut de la Corse
auprès de la seule population corse.
Enfin, et ce n'est pas le moins important, la nouvelle donne constitutionnelle
va permettre la création par la loi d'une collectivité territoriale
corse unique. En effet, le nouvel article 72 alinea 1 de la Constitution dispose
que si "Les collectivités territoriales de la République
sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut
particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article
74 ; toute autre collectivité territoriale est créée par
la loi, le cas échéant en lieu et place d'une ou de plusieurs
collectivités mentionnées au présent alinea.
Décentralisation,
le piége de l’autonomie financière
Dans le cadre de la décentralisation telle que la souhaite, pour la
Corse, le gouvernement Raffarin, jean-Pierre Battesti, secrétaire du
Syndicat National des Agents de la Direction Générale des Impôts
CGT tire la sonnette d'alarme sur les conséquences désastreuses
qu'elle engendrerait sur la fiscalité locale et les services publics.
Avec la décentralisation, la population serait en droit d'attendre de
meilleurs services publics, plus proches des usagers. Or, la loi Raffarin va
transférer à la Corse, mais aussi aux autres régions,
de nouvelles compétences sans les ressources financières suffisantes.
Le Premier ministre chiffre le coût des transferts à 10 mil- liards
d'euros alors que des experts indépendants parlent de 14 milliards.
Le Gouverne- ment prend argument du déficit des Finances publiques dont
il porte une part de responsabilités (cadeaux aux entreprises, baisse
de l'impôt) pour faire des économies. L'objectif de la décentralisation
est de dégager au moins 1% de productivité soit 15 milliards
d'euros.
Le Gouvernement affirme cependant que le transfert des charges vers les collectivités
locales sera accompagné des ressources que l'Etat y consacrait. Ces
ressources étant souvent insuffisantes (ex des ATOSS de l'Education
Nationale), tout dépendra des ressources des régions qui sont
très inégales. Un tiers des régions concentre les deux
tiers de la richesse nationale. Ainsi malgré la promesse de mesures
de péréquations non encore définies, certaines régions
riches pourront améliorer leurs services publics (ex: l'Alsace pourra
financer un vrai programme de santé et d'éducation) tandis que
d'autres, les plus nombreuses comme la Corse, seront contraintes d'augmenter
leurs impôts locaux, de réduire leurs services et de privatise
, avec un coût important pour la population.
Un transfert de charges préjudiciable pour la population
Nous allons donc assister à une transformation complète des finances
publiques locales. Nous sentons très bien dans le discours de Sarkosy
et du MEDEF de Corse, que les questions fiscales et budgétaires sont
au cœur de la loi de décentralisation.
Sous la pression des poseurs de bombes et des visées ultralibérales,
la Corse sert de laboratoire.
Le Gouvernement veut assurer l'autonomie financière des collectivités
locales. A la CGT nous sommes pour, mais à condition qu'elle se réalise
avec les solidarités entre les régions ou les communes riches
et les autres. Sans cela, cette autonomie financière n'est qu'un leurre
et un piège. Par exemple, l'Aide personnalisée à l'autonomie
(APA) dont les départements assurent les 2/3 du financement et bientôt
la totalité, a conduit le département de Haute Corse à augmenter
pour 2003 les impôts locaux de 25%.
Un autre aspect de la nouvelle loi de décentralisation, c'est le transfert
aux collectivités d'une partie des impôts nationaux. En Corse,
c'est déjà en pratique avec l'affectation à la CTC de
15% de la TIPP qui est un impôt sur les carburants. Comme la loi indique
que les recettes fiscales représenteront une part déterminante
des ressources de la région, la tentation est grande d'augmenter les
prix de l'essence. C'est déjà le cas actuellement avec des prix
supérieurs de 10c d'euros alors que la Corse bénéficie
d'une fiscalité réduite sur l'essence. La CGT a interpellé publiquement
le président de l'exécutif sur cette question.
La Corse utilise 5 fois plus d'impôts qu'elle n'en encaisse
Aujourd'hui plus de 70% du budget de la CTC provient de dotations de l'Etat.
Comment demain, avec la nouvelle loi, ce budget pourra être bouclé et
quels impôts seront créés par la région? Alors que
le
MEDEF et d'autres demandent toujours davantage d'exonérations fiscales
(zone franche, crédit d'impôt, exonérations des grosses
successions), ce seront une fois de plus les salariés et les ménages
les plus modestes qui seront mis à contribution. Cette question va concerner,
non seulement la CTC mais aussi les communes qui vont voir les dotations de
l'Etat diminuer.
Cette autonomie fiscale va se transformer en Territorialisation des impôts
prônée par José Rossi et les nationalistes. Cela consiste à ce
que' la Corse fonctionne seulement par ses propres impôts perçus
sur l'île. Or aujourd'hui, la société corse utilise grâce à la
solidarité nationale 5 fois plus d'impôts qu'elle en encaisse.
Bien sûr, pour faire passer sa réforme et son OUI au référendum,
Sarkosy utilisera un écran de fumée constitué par le PEI
(Plan exceptionnel d'investissement) et les crédits européens.
Mais une fois ces
sommes dépensées et à condition qu'elles le soient et
bien, et à moins que d'ici 10 ans la Corse ait trouvé une croissance économique
extraordinaire, des problèmes insolubles vont apparaître.
En tant que militants syndicaux mais aussi en tant que citoyens, nous pensons à la
CGT que ces questions doivent être débattues au grand jour et
que la population doit être consultée et puisse décider
pour son avenir..
Le secrétaire du SNADGI CGT J.P. Battestini