A regarder
les choses de plus près, toutefois, la langue corse cache,
sous ce vêtement toscan, une spécificité dont
ses usagers ont bien conscience et une unité évidente
malgré les variantes régionales, fruits, l'une
et l'autre, d'une longue histoire qu'il n'est pas sans intérêt
d'essayer de reconstituer.
AVANT
LE LATIN
Au plus lointain, le substrat prélatin conserve le souvenir des plus
anciennes civilisations « méditerranéennes » dont
l'influence a pénétré la Corse, partie par le détroit
de Bonifacio, partie par l'archipel toscan. Laissant aux spécialistes
le soin de démêler - quand ils le peuvent- ce qui est ibère
et ce qui est ligure, voire étrusque (mais ici nous sommes plus sceptique
malgré l'autorité de Bottiglioni), il nous suffira de constater
l'abondance des bases préindoeuropéennes dans la toponymie Corse,
sans disposer d'ailleurs de statistiques qui, même imprécises,
auraient permis, par voie comparative, de mesurer la force de ces rémanences.
Il semble certain que le nom même de la Corse soit formé sur la
base prélatine * KOR-S qui n'est pas sans homologues en Méditerranée
et qui évoque un relief dentelé. Quant aux lecteurs de Tite Live,
ils s'enchanteront peut-être de retrouver aux portes de Bastia, dans
le nom du village d'Erbalonga, une Albe La Longue, masqué par la phonétique
locale, dont la base * AL-B, indiquant une hauteur, ne doit rien au latin ni
d'un côté ni de l'autre de la Tyrrhénienne.
Comme on peut s'y attendre, le lexique de la flore et de la faune garde des
traces prélatines. Tel est le cas du thym (erba barona), du sapin (ghjallicu),
de l'asphodèle (tarabucciu, taravellu, arbucciu), sur la même
base *TAR- que la rivière Taravu) dont les fleurs blanches parsemaient
chez Homère les prairies des champs Elysées et dont la tige (tirulu)
armait le bras des mazzeri ou culpadori Corses dans leurs batailles nocturnes.
Si l'on est un peu déçu que la brebis corse, aujourd'hui seule
survivante des races néolithiques dans le bassin méditerranéen,
ait laissé latiniser son nom (pecura), on est satisfait de constater
que, comme en Sardaigne, le mouflon a résisté (muvrone, muvra)
et que, s'agissant du chien (l'antique race locale a malheureusement disparu à une époque
récente) l'indoeuropéen cane n'a pas effacé le vieux ghjacaru
dont la présence est attestée sur une aire étendue qui
va du Pays basque à la Géorgie en passant par les îles.
LA
LATINISATION
La latinisation de la langue semble avoir suivi avec beaucoup de lenteur une
romanisation elle-même très inégale. La conquête,
qui a duré un siècle et demi, est achevée en 111 av. J.-C.,
mais Sénèque, exilé en Corse de 41à 40 ap. J.-C.,
constate que les Corses parlent toujours un langage barbare et incompréhensible;
témoignage qui aurait beaucoup plus d'intérêt si l'on connaissait
le lieu exact de son séjour, mais qui tel qu'il est, atteste néanmoins
qu'au 1er siècle a p J.-C. la latinisation de l'idiome parlé n'est
pas faite. Quand sera-t-elle achevée ? Il est difficile de répondre.
On peut toutefois présumer que les dates seront bien différentes
pour la côte orientale assez fortement colonisée et, par exemple,
pour ce site de Capula, au-dessus de Livia, dont les fouilles, menées
par F.de Lanfranchi, ont révélé, du néolithique
au XIVéme siècle, la continuité d'une culture où les
contacts avec les Romains se résument à une pièce de monnaie
et quelques tessons. En tout cas, la latinisation est faite avant qu'au Moyen
Age la Corse tombe sous l'influence toscane, et on ne peut soutenir, comme
on l'a fait quelquefois, que le corse a été directement importé de
la péninsule à l'époque où les langues romanes étaient
déjà formées. S'il était besoin d'un fait précis
pour confirmer le vraisemblable, la persistance dans l'Alta Rocca de l'i et
de l'u brefs latins sous l'accent (pilu, furca) passés dans la péninsule à e
et o dès la fin du Illéme siècle ap J.-C (pelu, forca)
atteste que la vague toscanisante qui a, partout ailleurs en Corse, réduit
cet archaïsme, s'est propagée sur un terrain déjà latinisé.
De l'évolution qui a conduit du latin parlé en Corse à la
langue romane qu'est le Corse il est très difficile de dire quelque
chose de précis, faute de textes. A la différence du continent
italien et même de la Sardaigne (les premières traces du volgare
sarde apparaissent dès le Xléme siècle), en Corse, où le
toscan s'est imposé très tôt dans l'écriture, les
témoignages écrits du parler local sont trop tardifs pour permettre
de retracer l'histoire d'une langue qu'on ne peut guère saisir qu'à partir
de son état actuel.
Aussi cette histoire est-elle surtout celle des superstrats linguistiques.
Sur le fonds latin qui a évolué avec l'archaïsme propre
aux iles, sont venus se déposer les sédiments, surtout lexicaux,
apportés par les dominations successives. Rien de spécifique à dire
sur le lexique d'origine germanique véhiculé par le toscan ;
guère de traces du grec de la lointaine Byzance dont la Corse, comme
la Sardaigne, a dépendu politiquement pendant plus de deux siècles
; quant aux Sarrasins, ils n'ont pas vraiment occupé la Corse et, contrairement à une
croyance tenace, ravivée par les pirateries des Barbaresques, ils ont
seulement laissé dans la langue des mots que les contacts culturels
et commerciaux ont répandus dans tout le bassin méditerranéen
(du type cerra, cruche ; artichjoccu, artichaut). Les seuls superstrats de
quelque importance sont toscans, génois, français.
CORSE
ET TOSCAN
Capitale a été l'influence toscane. Elle s'affirme progressivement à partir
du IXéme siècle, rompant entre la Corse et la Sardaigne la vieille
unité linguistico-culturelle du temps des nuraghes et des torre, que
la conquête romaine avait maintenue en moulant les deux îles dans
un même cadre administratif continué par Byzance. La divergence
commence au moment où les Corses, plus proches du continent, ont subi
le poids de la féodalité toscane, puis du commerce pisan, tandis
que la Sardaigne, après un départ relativement autonome, tombe
au XIVéme siècle sous la domination catalano-aragonaise.
De cette influence toscane il reste dans l'usage d'aujourd'hui un nombre assez
important de mots anciens (avale au lieu de ora ou adesso, nimu au lieu de
nessuno, ancu au lieu de anche, etc.) qui donnent parfois à la langue
corse une couleur dantesque, mais que l'on retrouve aussi dans la montagne
de Lucques, sans compter tels archaïsmes de syntaxe ranger les pronoms
personnels atones d'objet direct et indirect dans un ordre qui n'est pas celui
de l'italien actuel (u mi da, tu me le donnes, et non me Io dai).
CORSE
ET GENOIS
Malgré une domination politique de cinq siècle, les Génois
ont peu laissé de leur dialecte en Corse, dans la mesure où ils
avaient eux-mêmes adopté le toscan comme langue écrite:quelques
centaines de mots du vocabulaire de la mer,de la ville (carrughju,rue) de technique
variées(scagnu,bureau,spichjetti,lunettes,brandale,trepied,piola;hache,etc)
CORSE
ET FRANCAIS
Quant à l'influence du français, elle a progressé avec
une extrême lenteur pendant les cinquante premières années
qui suivent l'annexion à la France. Mais vers 1840 Gioacchino Prosperi,
prédicateur lucquois, signale à Bastia des gallicismes dont certains
(cregnu pour temu, mi so trompatu pour mi so sbagliatu) sont encore nettement
perçus comme tels aujourd'hui. A la fin du siècle, l'enseignement
primaire obligatoire en langue française accentue de façon considérable
la francisation de la langue corse dans le lexique, la morphologie et même
parfois la syntaxe.
Au point de vue lexical, cette francisation agit par sélection, concurrence
et finalement substitution. Elle impose parmi les mots corses celui qui ressemble
le plus au mot français correspondant: dumandà (demander) aux
dépens de chere; sbarrazzà (débarrasser) aux dépens
de spachjà. Elle double d'un gallicisme le vocable Corse traditionnel
(lunetti pour spichjali). Elle finit par substituer au vieux mot oublié un
néologisme venu de France: les Corses ont commencé à dire
trussô à partir du moment où les notaires, rédigeant
leurs actes en français, ont écrit trousseau au lieu du juridique
abiti sponsalizj dont l'équivalent dans l'usage parlé était
panni. A plus forte raison, le français est-il grand pourvoyeur de modernité:
les choses nouvelles pénètrent en Corse avec un nom français,
comme elles pénétraient autrefois avec un nom italien: usina
et non fabbrica, greva et non sciopero, camiô, avec l'accent sur la finale
comme en français et non sur l'initiale comme l'italien camion.
Pendant longtemps la langue Corse a intégré tous ces emprunts
dans son système phonologique et morphologique, en transformant par
exemple les sons eu et u du français qui lui sont inconnus. Quand la
présence en Corse d'étrangers qui ne pouvaient être désignés,
selon l'usage traditionnel, soit par un simple prénom, soit par un prénom
précédé de ziu ou de sgiô, suivant les rapports
sociaux entretenus par les intéressés imposa le recours au mot
français monsieur, celui-ci fut d'abord prononcé munsiù,
comme bureau substitué à scagnu était prononcé burô,
et ce n'est que dans une phase plus récente que se sont imposés
le eu et le u français. De même le mot épicerie substitué à butteca
subissait une normalisation de sa finale et de son accent (episseria) avant
d'être prononcé par la suite episseri. Quant à la syntaxe,
la marque française est moins importante, sans être négligeable,
comme par exemple la tendance à remplacer par un imparfait de l'indicatif
l'imparfait du subjonctif qui était la règle après un
si potentiel ou irréel: s’è a sapia au lieu de s’è a
sapessi (ou sapissi).
L’IDENTITE
CORSE
QU’EST CE QU’ETRE CORSE ?
C’est une question que chaque insulaire est amené à se
poser à deux niveaux indissolublement liés: celui de sa vie individuelle,
et celui de l'histoire de son peuple.
Son identité individuelle il la trouve, dans un certain nombre d'indicateurs
objectifs: son nom, son prénom, éventuellement surnom qui, sont
aussi bien des indicateurs de situation que des critères de classification.
Ainsi, au cœur même de l'indicateur le plus personnel, le prénom,
et le surnom, on est renvoyé au groupe, à la lignée, à la
communauté villageoise (Pierre-Jean est un prénom fréquent
chez les Ceccaldi, les Ceccaldi sont originaires de Vescuvatu), à l'ethnie
elle-même. A fortiori la langue, la cuisine et la gastronomie, le costume,
le code de la politesse et de l'honneur ne permettent à un Corse de
se poser vis-à-vis d'autrui et de lui-même qu'en se référant à des
signes culturels qui le dépassent par leur profondeur et leur ampleur.
Est-ce à dire que tous les Corses sont sur le même modèle
et que, en dehors de ce modèle il n'y a que de l'indicible, de l'innommé,
et du dérisoire ? Nullement. Si l'on se réfère à ce
qu’étaient les communautés paysannes corses du début
de ce siècle quand elles fonctionnaient encore comme un système économique,
démographique et social complet, on découvre avec surprise qu'elles
comprenaient un grand nombre de « cas» individuels: personnages
originaux, marginaux, exceptionnels par leur talent dans un domaine ou un autre
de la culture, par leurs opinions, par leurs connaissances, leur comportement
religieux, sociabilitaire sexuel.
Comment une telle diversité pouvait-elle exister sans faire éclater
le système culturel ? C'est que l'identité véritable est à la
fois différence et unité, permanence et variation. Elle se construit à travers
un travail complexe qui combine tour à tour des processus d'identifications
et de différenciations partielles: permanence (à travers ses
variations et ses recherches), d'un être qui est assuré qu'il
est « reconnu » par ses proches; et corrélativement inflexion
progressive de la courbe d'une personnalité qui se construit peu à peu
dans le temps. Tant que le système économico social de la communauté villageoise
a tenu, avec les cadres qu'il fournissait (cadre spatial du réseau des
toponymes, cadre temporel de l'année scandée par les saisons,
les travaux, les fêtes, cadre social de l'interconnaissance des lignées
et familles alliées les unes aux autres), chaque individu pouvait construire
son identité et, par son action, modifier imperceptiblement l'identité de
la famille et de la communauté à laquelle il appartenait. Il
devait bien y avoir des «à-coups » dans ce système, à en
juger par les mentions de suicides et de folies qui affleurent çà et
là à la mémoire, et il faudrait se demander en quoi ils
consistaient; mais ils étaient d'une autre nature que ceux que nous
enregistrons aujourd'hui.
Depuis que ces cadres de référence se sont brouillés,
ou ont éclaté sous l'effet de l'explosion de l'émigration
et, si l'on peut dire, de l'implosion touristique, on a vu apparaître
des phénomènes d'identification rigide, sectaire, maniaque à des
modèles pauvres, dont le badge poignant et névrotique « Je
suis corse, j'en suis fier » qu'on colle sur sa voiture, marque la limite;
des ancrages partiels, à des produits culturels, à des héritages
du passé (la maison, la langue, la cuisine) inlassablement repris et
consommés sur le mode de la répétition, de l'incantation
(ce livre relève en un certain sens de cette recherche consommation
du patrimoine).
Le maintien et le prolongement de l'identité culturelle corse tant au
niveau de l'individu qu'à celui de l'ethnie impliquent que d'une manière
adaptée à notre temps, refusant toute complaisance passéiste,
le peuple corse se remette à produire lui-même, et sur son sol,
les conditions d'existence et de développement de sa culture.
G. Ravis-Giordani.
LES
NOMS DES LIEUX
Depuis le plus lointain passé, les toponymes reflètent le visage
de la terre et les formes des activités humaines. Les vieux mots prélatins
aux sonorités étranges persistent dans les noms des localités
ou ils désignent une particularité du relief (Calacuccia, Calasima,
Carbini, Alzi, Avapessa, etc.) et dans la partie du territoire communal abandonné à la
chasse et au pacage, tandis que le cadastre des terres agricoles révèle
le travail de paysans dont les ancêtres ont parlé latin. Campu
(champ), Chjosu (enclos), Granaghju (terre à blé), Pratu (pré),
Finaghiu (pré de fauche), Diceppu (défrichement), Novale (terre
nouvellement semée), etc., comme est latine également la toponymie
des lieux plantés d'arbres : Olmetu (lorme), Frassetu (le frêne),
Carpinctu (le charme), Salicetu (le saule), Alzetu (l’aulne), etc.
Parmi les principales villes de Corse, Bastia a une étymologie limpide,
la bastille (Bastita) construite par les Génois en 1380, et Bonifacio
doit son nom à son fondateur, Bonifacio, comte de Toscane (encore qu'il
y ait d'autres lieux-dits portant ce nom, et notamment un hameau de la commune
d 'Ersa, dans le Cap, qui doit être rattaché à l'idée
d'amélioration foncière, bonum factom). Corte aussi est d'origine
latine :cohortem qui aboutit au sens de place forte ou de domaine rural (ce
dernier sens étant celui des nombreux lieux-dits Corti), ainsi que Calvi,
du moins en apparence, car le latin Calvus (lieu dénudé) a probablement
recouvert un prélatin *KAL - marquant la hauteur. Mais Sartène
renvoie, sans masque, à une base prélatine *SART- T, la même
que dans le nom de la Sardaigne et que dans les nombreux toponymes Corses
I sardi désignant toujours le même hérissement de rochers
que les lieux nommés I corsi. Le plus mystérieux des noms de
villes est sans doute celui d'Ajaccio
L’étymologie éponyme à partir d'un gréco-latin
Ajax n'est pas à exclure absolument, à condition, bien sur, de
ne pas identifier cet homme avec le héros de l’Iliade ! Plus souvent
on explique Ajaccio par un latin adjacium, lieu de halte ou parc à brebis
mais certains veulent y voir la même Agathè Tuchè (Bonne
Fortune) qui se retrouve dans Agde. Puisque le débat reste ouvert, nous
ajouterons, sans beaucoup de conviction, notre petite pierre à l'édifice
en rappelant que aiacciu est le nom d'une variété littorale d'if.
Quelle que soit leur origine, les toponymes Corses ont été transcrits
sous une forme toscane au XVIIIIéme siècle par les géomètres
français du Plan terrier. Aussi les noms qu’on lit sur les cartes
ou au croisement des routes ne correspondent-lis pas toujours à la prononciation
locale. Ajaccio, Corte, Bonifacio, Sartène, Porto Vecchio se prononcent
Aiacciu. Corti, Bonifaziu, Sartè, Porti Vechju, sans parler de quelques
francisations du type Saint-Florent pour San Fiurenze ou Ile Rousse pour Isola
Rossa. Parfois même, la transcription est gravement déformante.
Comment reconnaître sous les graphies Moncale, Nessa, Moca, Farinole
les villages de U Mucale, Nesciu, Magà, Feringule ?
Et quand on prononce Sartè, Auddè, Tallà pourquoi écrire
Sartène, Aullène, Tallano en ajoutant un n qui n'apparait que
dans le nom des habitants de ces localités, Sartinesi. Auddaninchi,
Tallanesi ? Il arrive qu'une graphie fantaisiste engendre une fausse étymologie
populaire: c'est le cas du village de Livia orthographié Levie et communément
expliqué comme le carrefour des routes (le vie) alors que ce toponyme,
vraisemblablement prélatin se retrouve ailleurs en Corse dans un contexte
qui exclut toute idée de route (Livia est une rivière dans la
piève de Verde).
Depuis une dizaine d'années, se manifeste ici et là une volonté de
restituer aux toponymes corses, leur vrai visage; elle se traduit par des rectifications à la
peinture sur les poteaux indicateurs. Une liste des <<.formes authentiques
des noms de communes corses » a été publiée par
la revue Kyrn.
LES
NOMS DE FAMILLE
Chacun sait que les Corses ont, pour la plupart, des noms en i, signe que leur
système patronymique est italien. Avec toutefois un certain nombre de
particularités.
Comme partout ailleurs, les noms de famille ont en Corse une triple origine
:
1 Des prénoms, les uns toujours en usage (Paoli, Franceschi, Mattei,
Martini, Santini, Giovannangeli), les autres tombés en désuétude
(Colombani, Lanfranchi, Pandolfi).
2 Des surnoms, tirés de particularités physiques ou morales,
telles que la couleur des cheveux et le teint (Rossi, cheveux roux, Bianchi,
Bianconi, teint clair.- Mori, Moretti, Moroni, Morucci, cheveux noirs et teint
basané), la démarche (Bazziconi, « qui se dandine en marchant »),
le caractère Buttafoco, boutefeu) etc.
3 Des noms de lieux. Ajaccio, Bonifacio, Campana, Carcopino, Cuttoli, Levie,
Rocca, Serra, etc.
Par contre, dans une société où la division du travail était
peu poussée, les noms de métiers n'ont guère été productifs
; tout au plus quelques Ferrari ou Ferrali rappellent-ils le travail de la
forge. C'est là une différence notable avec le continent italien
ou français. Le moulin et le meunier auxquels on doit ailleurs tant
de Molino, Molinier, Moulinier, Mouly, Moulin, Dumoulin, etc. n'ont rien donné en
Corse ou révèlent une origine extérieure.
Les patronymes urbains reflètent l'histoire de la ville et de ses couches
successives de population. Au plus lointain, les colons génois du XV
siècle (Bonaparte, Baciocchi, Recco, Spoturno, etc. à Ajaccio).
Puis l'apport des villages voisins (à Bastia : Belgodere, Astima, Villa,
Guaitella, Lota, Sisco, Canari, Biguglia, Oletta, Olmeta, Patrimonio, etc).
Puis tout ce qu'un port peut accueillir d'éléments méditerranéens,
sans oublier la colonie juive, surtout depuis la Première Guerre mondiale.
A partir du XVIlléme siècle, on note quelques français,
rapidement assimilés (Bosc, Dussol, Thiers, Landry, etc.) et, depuis
une quinzaine d'années, des «nouveaux français » infiniment
plus nombreux, surtout à Ajaccio. Dans les villages de l'intérieur,
un patronyme français ancien a souvent pour origine le mariage local
d'un gendarme (le père du maréchal Juin était gendarme à Ucciani).
Les régiments suisses de l’Ancien régime ont laissé à Ajaccio
le nom de Fesch, à Corte, celui de Siméon de Buochberg.
Au coeur de la Corse, on trouve un ancien et étonnant Stuart.
En ce qui concerne les noms proprement Corses, leur formation tardive s'achève
dans la seconde moitié du XVIIII siècle. C'est alors que l'ancien
système du prénom, nome, suivi du prénom du père
(Paolo di Martino) ou du lieu d'origine (Paolo da Quenza) fait place au nom
de famille, casata. A noter toutefois la persistance de surnoms collectifs
destinés à distinguer les branches et rameaux d'une même
famille sur le modèle romain: praeno Men, nomen gentiliciurn, cognomen.
Pour prendre un exemple, qu'il serait aisé de multiplier, la famille
Peretti, de Livia, déjà signalée comme très nombreuse
au XVIlléme siècle par l'annaliste Ambrogio Rossi, se subdivise
en une vingtaine de branches distinguées chacune par un surnom issu
soit d'un prénom (Paoli), soit d'un grade (Alfieri, enseigne), soit
d'un sobriquet (Calzetti, chaussettes) souvent pittoresque, parfois truculent.
Et aujourd'hui encore ces surnoms ont, dans l'usage courant, plus de vitalité que
le nom de famille.
Quelle que soit leur origine et leur mode déformation, les noms de famille
sont des formes de la langue écrite, et, par conséquent, toscanisées
(prénom Petru, mais nom de famille Pietri avec la diphtongaison dite « romane» inconnue
du corse). Quelques noms en y surprennent au premier abord. Gregory, Valery.
Ils sont issus de prénoms latins en jus dont le ii du génitif
(Gregorii, Valerii) écrit j en ancien italien (Gregorj, Valeri) a été traduit
graphiquement par y à l'état civil français, quand la
valeur de l'i lungo (j = jj) a cessé d'être comprise.
Tous les patronymes corses - à l'exception de ceux qui viennent d'un
nom de lieu très spécifique - se retrouvent en Italie, ce qui
a permis à des familles entichées de noblesse de s’y découvrir
d'illustres origines, comme le faisaient tant de nobles provençaux sous
l’ Ancien régime. Mais l'inverse n'est pas vrai et les Corses
savent bien reconnaître à certaines particularités les
noms d'immigrés italiens : Colombo italien à côté de
Colombini ou de Colombani , formation avec di ou del (Di Benedetto, Del Pozzo),
noms de famille sardes en u (Porcu, Manu).
Rappelons enfin que la particule nobiliaire de (à ne pas confondre avec
le de’ = dei italien, Pasquale de' Paoli), étrangère au
système patronymique italien et corse, est d'usage récent (2éme
moitié du XVIIIéme siècle et surtout XlXéme siècle,
avec une extension curieuse au XXéme) imitée plus ou moins adroitement
du français et que Mgr De La Foata (qui lui même ) en fit des
gorges chaudes dans une pièce de vers de ses Poesie giocose.
LES
PRENOMS
L'étrangeté de certains prénoms Corses frappe le visiteur
dès le premier abord. Sans doute on retrouve comme partout ailleurs
les saints du calendrier et les prénoms germaniques (Guillaume, Albert,
etc.). On remarquera davantage la survivance de prénoms mystiques datant
des premiers temps du christianisme Orsu (ours, surnom d'humilité, plutôt
que nom d'animal à valeur magique), Sale (le sel du baptême, toujours
en composition, Ghjuvan Sale), Donu (toujours en composition, avec apocope,
Don Ghjacumu, Don Ghjorghju, etc.)
L’ Ancien Testament est très largement représenté chez
les femmes (Rachel, Bethsabée, etc.). Comme chez les hommes (Balthasar,
Laban, Saül, etc.).
La Renaissance a apporté la mode de l'épopée homérique
(Achille, Hector, etc.) et de l'histoire grecque (Alexandre) ou romaine (César,
Pompée, Trajan, Marc Aurèle, Horace, Titus, Fabius, Décius
; Cornélie, Clélie, Lavinie, Lucrèce, etc.).
La vogue extraordinaire de l’Arioste et du Tasse explique les Orlando,
Rinaldo, Sacripante, Sansonetto, Tristano, Bradamante, Gradasso, Medoro, Serpentino,
Oliviero, Fiordispina, etc.).
Les plus archaïques de ces prénoms n'ont pas été sans
poser des problèmes de transcription à l'état civil où l'ignorance
les a souvent déformés de façon bizarre: Lauterio ( Lothaire
) est devenu Léotère, Giabicorso ( Giacopo Orso ) au lieu d’être
traduit Jacques-Ours est transcrit Jabicorse et rattaché plus ou moins
consciemment au mot «corse» ; San Giustu, nom double composé de
Santu, apocopé en San et de Giustu, devient un Saint-Just qui semble, à tort,
inspiré par la Révolution française.
Transmis de grand-père à petit-fils, d'oncle à neveu avec
une régularité qui facilite les recherches généalogiques,
le prénom corse destiné à «remplacer» un défunt
(on ne donnait jamais autrefois le nom d'un vivant à l'intérieur
d'une mème famille) constituait - et constitue encore - un élément
important de l'identité familiale. Après une période d'acculturation,
la mode actuelle fait revivre le nom de l'épouse de Sampiero (Vannina
= Giovannina, Jeannine) et de la mère de Napoléon (Laetitia)
comme un signe d'identité culturelle.