HISTOIRE DE LA LANGUE ET DES NOMS CORSES

 

 

 

 

 




La Corse

Le nom de la Corse
Le sens de l'honneur
La langue et noms Corses
Village et dictons

Les femmes
La religion
La table
Les boissons

 


A regarder les choses de plus près, toutefois, la langue corse cache, sous ce vêtement toscan, une spécificité dont ses usagers ont bien conscience et une unité évidente malgré les variantes régionales, fruits, l'une et l'autre, d'une longue histoire qu'il n'est pas sans intérêt d'essayer de reconstituer.

AVANT LE LATIN
Au plus lointain, le substrat prélatin conserve le souvenir des plus anciennes civilisations « méditerranéennes » dont l'influence a pénétré la Corse, partie par le détroit de Bonifacio, partie par l'archipel toscan. Laissant aux spécialistes le soin de démêler - quand ils le peuvent- ce qui est ibère et ce qui est ligure, voire étrusque (mais ici nous sommes plus sceptique malgré l'autorité de Bottiglioni), il nous suffira de constater l'abondance des bases préindoeuropéennes dans la toponymie Corse, sans disposer d'ailleurs de statistiques qui, même imprécises, auraient permis, par voie comparative, de mesurer la force de ces rémanences.
Il semble certain que le nom même de la Corse soit formé sur la base prélatine * KOR-S qui n'est pas sans homologues en Méditerranée et qui évoque un relief dentelé. Quant aux lecteurs de Tite Live, ils s'enchanteront peut-être de retrouver aux portes de Bastia, dans le nom du village d'Erbalonga, une Albe La Longue, masqué par la phonétique locale, dont la base * AL-B, indiquant une hauteur, ne doit rien au latin ni d'un côté ni de l'autre de la Tyrrhénienne.

Comme on peut s'y attendre, le lexique de la flore et de la faune garde des traces prélatines. Tel est le cas du thym (erba barona), du sapin (ghjallicu), de l'asphodèle (tarabucciu, taravellu, arbucciu), sur la même base *TAR- que la rivière Taravu) dont les fleurs blanches parsemaient chez Homère les prairies des champs Elysées et dont la tige (tirulu) armait le bras des mazzeri ou culpadori Corses dans leurs batailles nocturnes. Si l'on est un peu déçu que la brebis corse, aujourd'hui seule survivante des races néolithiques dans le bassin méditerranéen, ait laissé latiniser son nom (pecura), on est satisfait de constater que, comme en Sardaigne, le mouflon a résisté (muvrone, muvra) et que, s'agissant du chien (l'antique race locale a malheureusement disparu à une époque récente) l'indoeuropéen cane n'a pas effacé le vieux ghjacaru dont la présence est attestée sur une aire étendue qui va du Pays basque à la Géorgie en passant par les îles.

LA LATINISATION
La latinisation de la langue semble avoir suivi avec beaucoup de lenteur une romanisation elle-même très inégale. La conquête, qui a duré un siècle et demi, est achevée en 111 av. J.-C., mais Sénèque, exilé en Corse de 41à 40 ap. J.-C., constate que les Corses parlent toujours un langage barbare et incompréhensible; témoignage qui aurait beaucoup plus d'intérêt si l'on connaissait le lieu exact de son séjour, mais qui tel qu'il est, atteste néanmoins qu'au 1er siècle a p J.-C. la latinisation de l'idiome parlé n'est pas faite. Quand sera-t-elle achevée ? Il est difficile de répondre. On peut toutefois présumer que les dates seront bien différentes pour la côte orientale assez fortement colonisée et, par exemple, pour ce site de Capula, au-dessus de Livia, dont les fouilles, menées par F.de Lanfranchi, ont révélé, du néolithique au XIVéme siècle, la continuité d'une culture où les contacts avec les Romains se résument à une pièce de monnaie et quelques tessons. En tout cas, la latinisation est faite avant qu'au Moyen Age la Corse tombe sous l'influence toscane, et on ne peut soutenir, comme on l'a fait quelquefois, que le corse a été directement importé de la péninsule à l'époque où les langues romanes étaient déjà formées. S'il était besoin d'un fait précis pour confirmer le vraisemblable, la persistance dans l'Alta Rocca de l'i et de l'u brefs latins sous l'accent (pilu, furca) passés dans la péninsule à e et o dès la fin du Illéme siècle ap J.-C (pelu, forca) atteste que la vague toscanisante qui a, partout ailleurs en Corse, réduit cet archaïsme, s'est propagée sur un terrain déjà latinisé.

De l'évolution qui a conduit du latin parlé en Corse à la langue romane qu'est le Corse il est très difficile de dire quelque chose de précis, faute de textes. A la différence du continent italien et même de la Sardaigne (les premières traces du volgare sarde apparaissent dès le Xléme siècle), en Corse, où le toscan s'est imposé très tôt dans l'écriture, les témoignages écrits du parler local sont trop tardifs pour permettre de retracer l'histoire d'une langue qu'on ne peut guère saisir qu'à partir de son état actuel.
Aussi cette histoire est-elle surtout celle des superstrats linguistiques. Sur le fonds latin qui a évolué avec l'archaïsme propre aux iles, sont venus se déposer les sédiments, surtout lexicaux, apportés par les dominations successives. Rien de spécifique à dire sur le lexique d'origine germanique véhiculé par le toscan ; guère de traces du grec de la lointaine Byzance dont la Corse, comme la Sardaigne, a dépendu politiquement pendant plus de deux siècles ; quant aux Sarrasins, ils n'ont pas vraiment occupé la Corse et, contrairement à une croyance tenace, ravivée par les pirateries des Barbaresques, ils ont seulement laissé dans la langue des mots que les contacts culturels et commerciaux ont répandus dans tout le bassin méditerranéen (du type cerra, cruche ; artichjoccu, artichaut). Les seuls superstrats de quelque importance sont toscans, génois, français.

CORSE ET TOSCAN
Capitale a été l'influence toscane. Elle s'affirme progressivement à partir du IXéme siècle, rompant entre la Corse et la Sardaigne la vieille unité linguistico-culturelle du temps des nuraghes et des torre, que la conquête romaine avait maintenue en moulant les deux îles dans un même cadre administratif continué par Byzance. La divergence commence au moment où les Corses, plus proches du continent, ont subi le poids de la féodalité toscane, puis du commerce pisan, tandis que la Sardaigne, après un départ relativement autonome, tombe au XIVéme siècle sous la domination catalano-aragonaise.

De cette influence toscane il reste dans l'usage d'aujourd'hui un nombre assez important de mots anciens (avale au lieu de ora ou adesso, nimu au lieu de nessuno, ancu au lieu de anche, etc.) qui donnent parfois à la langue corse une couleur dantesque, mais que l'on retrouve aussi dans la montagne de Lucques, sans compter tels archaïsmes de syntaxe ranger les pronoms personnels atones d'objet direct et indirect dans un ordre qui n'est pas celui de l'italien actuel (u mi da, tu me le donnes, et non me Io dai).

CORSE ET GENOIS
Malgré une domination politique de cinq siècle, les Génois ont peu laissé de leur dialecte en Corse, dans la mesure où ils avaient eux-mêmes adopté le toscan comme langue écrite:quelques centaines de mots du vocabulaire de la mer,de la ville (carrughju,rue) de technique variées(scagnu,bureau,spichjetti,lunettes,brandale,trepied,piola;hache,etc)

CORSE ET FRANCAIS
Quant à l'influence du français, elle a progressé avec une extrême lenteur pendant les cinquante premières années qui suivent l'annexion à la France. Mais vers 1840 Gioacchino Prosperi, prédicateur lucquois, signale à Bastia des gallicismes dont certains (cregnu pour temu, mi so trompatu pour mi so sbagliatu) sont encore nettement perçus comme tels aujourd'hui. A la fin du siècle, l'enseignement primaire obligatoire en langue française accentue de façon considérable la francisation de la langue corse dans le lexique, la morphologie et même parfois la syntaxe.

Au point de vue lexical, cette francisation agit par sélection, concurrence et finalement substitution. Elle impose parmi les mots corses celui qui ressemble le plus au mot français correspondant: dumandà (demander) aux dépens de chere; sbarrazzà (débarrasser) aux dépens de spachjà. Elle double d'un gallicisme le vocable Corse traditionnel (lunetti pour spichjali). Elle finit par substituer au vieux mot oublié un néologisme venu de France: les Corses ont commencé à dire trussô à partir du moment où les notaires, rédigeant leurs actes en français, ont écrit trousseau au lieu du juridique abiti sponsalizj dont l'équivalent dans l'usage parlé était panni. A plus forte raison, le français est-il grand pourvoyeur de modernité: les choses nouvelles pénètrent en Corse avec un nom français, comme elles pénétraient autrefois avec un nom italien: usina et non fabbrica, greva et non sciopero, camiô, avec l'accent sur la finale comme en français et non sur l'initiale comme l'italien camion.

Pendant longtemps la langue Corse a intégré tous ces emprunts dans son système phonologique et morphologique, en transformant par exemple les sons eu et u du français qui lui sont inconnus. Quand la présence en Corse d'étrangers qui ne pouvaient être désignés, selon l'usage traditionnel, soit par un simple prénom, soit par un prénom précédé de ziu ou de sgiô, suivant les rapports sociaux entretenus par les intéressés imposa le recours au mot français monsieur, celui-ci fut d'abord prononcé munsiù, comme bureau substitué à scagnu était prononcé burô, et ce n'est que dans une phase plus récente que se sont imposés le eu et le u français. De même le mot épicerie substitué à butteca subissait une normalisation de sa finale et de son accent (episseria) avant d'être prononcé par la suite episseri. Quant à la syntaxe, la marque française est moins importante, sans être négligeable, comme par exemple la tendance à remplacer par un imparfait de l'indicatif l'imparfait du subjonctif qui était la règle après un si potentiel ou irréel: s’è a sapia au lieu de s’è a sapessi (ou sapissi).

L’IDENTITE CORSE
QU’EST CE QU’ETRE CORSE ?

C’est une question que chaque insulaire est amené à se poser à deux niveaux indissolublement liés: celui de sa vie individuelle, et celui de l'histoire de son peuple.
Son identité individuelle il la trouve, dans un certain nombre d'indicateurs objectifs: son nom, son prénom, éventuellement surnom qui, sont aussi bien des indicateurs de situation que des critères de classification. Ainsi, au cœur même de l'indicateur le plus personnel, le prénom, et le surnom, on est renvoyé au groupe, à la lignée, à la communauté villageoise (Pierre-Jean est un prénom fréquent chez les Ceccaldi, les Ceccaldi sont originaires de Vescuvatu), à l'ethnie elle-même. A fortiori la langue, la cuisine et la gastronomie, le costume, le code de la politesse et de l'honneur ne permettent à un Corse de se poser vis-à-vis d'autrui et de lui-même qu'en se référant à des signes culturels qui le dépassent par leur profondeur et leur ampleur.

Est-ce à dire que tous les Corses sont sur le même modèle et que, en dehors de ce modèle il n'y a que de l'indicible, de l'innommé, et du dérisoire ? Nullement. Si l'on se réfère à ce qu’étaient les communautés paysannes corses du début de ce siècle quand elles fonctionnaient encore comme un système économique, démographique et social complet, on découvre avec surprise qu'elles comprenaient un grand nombre de « cas» individuels: personnages originaux, marginaux, exceptionnels par leur talent dans un domaine ou un autre de la culture, par leurs opinions, par leurs connaissances, leur comportement religieux, sociabilitaire sexuel.
Comment une telle diversité pouvait-elle exister sans faire éclater le système culturel ? C'est que l'identité véritable est à la fois différence et unité, permanence et variation. Elle se construit à travers un travail complexe qui combine tour à tour des processus d'identifications et de différenciations partielles: permanence (à travers ses variations et ses recherches), d'un être qui est assuré qu'il est « reconnu » par ses proches; et corrélativement inflexion progressive de la courbe d'une personnalité qui se construit peu à peu dans le temps. Tant que le système économico social de la communauté villageoise a tenu, avec les cadres qu'il fournissait (cadre spatial du réseau des toponymes, cadre temporel de l'année scandée par les saisons, les travaux, les fêtes, cadre social de l'interconnaissance des lignées et familles alliées les unes aux autres), chaque individu pouvait construire son identité et, par son action, modifier imperceptiblement l'identité de la famille et de la communauté à laquelle il appartenait. Il devait bien y avoir des «à-coups » dans ce système, à en juger par les mentions de suicides et de folies qui affleurent çà et là à la mémoire, et il faudrait se demander en quoi ils consistaient; mais ils étaient d'une autre nature que ceux que nous enregistrons aujourd'hui.

Depuis que ces cadres de référence se sont brouillés, ou ont éclaté sous l'effet de l'explosion de l'émigration et, si l'on peut dire, de l'implosion touristique, on a vu apparaître des phénomènes d'identification rigide, sectaire, maniaque à des modèles pauvres, dont le badge poignant et névrotique « Je suis corse, j'en suis fier » qu'on colle sur sa voiture, marque la limite; des ancrages partiels, à des produits culturels, à des héritages du passé (la maison, la langue, la cuisine) inlassablement repris et consommés sur le mode de la répétition, de l'incantation (ce livre relève en un certain sens de cette recherche consommation du patrimoine).
Le maintien et le prolongement de l'identité culturelle corse tant au niveau de l'individu qu'à celui de l'ethnie impliquent que d'une manière adaptée à notre temps, refusant toute complaisance passéiste, le peuple corse se remette à produire lui-même, et sur son sol, les conditions d'existence et de développement de sa culture.
G. Ravis-Giordani.

LES NOMS DES LIEUX
Depuis le plus lointain passé, les toponymes reflètent le visage de la terre et les formes des activités humaines. Les vieux mots prélatins aux sonorités étranges persistent dans les noms des localités ou ils désignent une particularité du relief (Calacuccia, Calasima, Carbini, Alzi, Avapessa, etc.) et dans la partie du territoire communal abandonné à la chasse et au pacage, tandis que le cadastre des terres agricoles révèle le travail de paysans dont les ancêtres ont parlé latin. Campu (champ), Chjosu (enclos), Granaghju (terre à blé), Pratu (pré), Finaghiu (pré de fauche), Diceppu (défrichement), Novale (terre nouvellement semée), etc., comme est latine également la toponymie des lieux plantés d'arbres : Olmetu (lorme), Frassetu (le frêne), Carpinctu (le charme), Salicetu (le saule), Alzetu (l’aulne), etc.

Parmi les principales villes de Corse, Bastia a une étymologie limpide, la bastille (Bastita) construite par les Génois en 1380, et Bonifacio doit son nom à son fondateur, Bonifacio, comte de Toscane (encore qu'il y ait d'autres lieux-dits portant ce nom, et notamment un hameau de la commune d 'Ersa, dans le Cap, qui doit être rattaché à l'idée d'amélioration foncière, bonum factom). Corte aussi est d'origine latine :cohortem qui aboutit au sens de place forte ou de domaine rural (ce dernier sens étant celui des nombreux lieux-dits Corti), ainsi que Calvi, du moins en apparence, car le latin Calvus (lieu dénudé) a probablement recouvert un prélatin *KAL - marquant la hauteur. Mais Sartène renvoie, sans masque, à une base prélatine *SART- T, la même que dans le nom de la Sardaigne et que dans les nombreux toponymes Corses

I sardi désignant toujours le même hérissement de rochers que les lieux nommés I corsi. Le plus mystérieux des noms de villes est sans doute celui d'Ajaccio
L’étymologie éponyme à partir d'un gréco-latin Ajax n'est pas à exclure absolument, à condition, bien sur, de ne pas identifier cet homme avec le héros de l’Iliade ! Plus souvent on explique Ajaccio par un latin adjacium, lieu de halte ou parc à brebis mais certains veulent y voir la même Agathè Tuchè (Bonne Fortune) qui se retrouve dans Agde. Puisque le débat reste ouvert, nous ajouterons, sans beaucoup de conviction, notre petite pierre à l'édifice en rappelant que aiacciu est le nom d'une variété littorale d'if.
Quelle que soit leur origine, les toponymes Corses ont été transcrits sous une forme toscane au XVIIIIéme siècle par les géomètres français du Plan terrier. Aussi les noms qu’on lit sur les cartes ou au croisement des routes ne correspondent-lis pas toujours à la prononciation locale. Ajaccio, Corte, Bonifacio, Sartène, Porto Vecchio se prononcent Aiacciu. Corti, Bonifaziu, Sartè, Porti Vechju, sans parler de quelques francisations du type Saint-Florent pour San Fiurenze ou Ile Rousse pour Isola Rossa. Parfois même, la transcription est gravement déformante. Comment reconnaître sous les graphies Moncale, Nessa, Moca, Farinole les villages de U Mucale, Nesciu, Magà, Feringule ?

Et quand on prononce Sartè, Auddè, Tallà pourquoi écrire Sartène, Aullène, Tallano en ajoutant un n qui n'apparait que dans le nom des habitants de ces localités, Sartinesi. Auddaninchi, Tallanesi ? Il arrive qu'une graphie fantaisiste engendre une fausse étymologie populaire: c'est le cas du village de Livia orthographié Levie et communément expliqué comme le carrefour des routes (le vie) alors que ce toponyme, vraisemblablement prélatin se retrouve ailleurs en Corse dans un contexte qui exclut toute idée de route (Livia est une rivière dans la piève de Verde).
Depuis une dizaine d'années, se manifeste ici et là une volonté de restituer aux toponymes corses, leur vrai visage; elle se traduit par des rectifications à la peinture sur les poteaux indicateurs. Une liste des <<.formes authentiques des noms de communes corses » a été publiée par la revue Kyrn.

LES NOMS DE FAMILLE
Chacun sait que les Corses ont, pour la plupart, des noms en i, signe que leur système patronymique est italien. Avec toutefois un certain nombre de particularités.
Comme partout ailleurs, les noms de famille ont en Corse une triple origine :
1 Des prénoms, les uns toujours en usage (Paoli, Franceschi, Mattei, Martini, Santini, Giovannangeli), les autres tombés en désuétude (Colombani, Lanfranchi, Pandolfi).
2 Des surnoms, tirés de particularités physiques ou morales, telles que la couleur des cheveux et le teint (Rossi, cheveux roux, Bianchi, Bianconi, teint clair.- Mori, Moretti, Moroni, Morucci, cheveux noirs et teint basané), la démarche (Bazziconi, « qui se dandine en marchant »), le caractère Buttafoco, boutefeu) etc.
3 Des noms de lieux. Ajaccio, Bonifacio, Campana, Carcopino, Cuttoli, Levie, Rocca, Serra, etc.
Par contre, dans une société où la division du travail était peu poussée, les noms de métiers n'ont guère été productifs ; tout au plus quelques Ferrari ou Ferrali rappellent-ils le travail de la forge. C'est là une différence notable avec le continent italien ou français. Le moulin et le meunier auxquels on doit ailleurs tant de Molino, Molinier, Moulinier, Mouly, Moulin, Dumoulin, etc. n'ont rien donné en Corse ou révèlent une origine extérieure.

Les patronymes urbains reflètent l'histoire de la ville et de ses couches successives de population. Au plus lointain, les colons génois du XV siècle (Bonaparte, Baciocchi, Recco, Spoturno, etc. à Ajaccio). Puis l'apport des villages voisins (à Bastia : Belgodere, Astima, Villa, Guaitella, Lota, Sisco, Canari, Biguglia, Oletta, Olmeta, Patrimonio, etc). Puis tout ce qu'un port peut accueillir d'éléments méditerranéens, sans oublier la colonie juive, surtout depuis la Première Guerre mondiale.

A partir du XVIlléme siècle, on note quelques français, rapidement assimilés (Bosc, Dussol, Thiers, Landry, etc.) et, depuis une quinzaine d'années, des «nouveaux français » infiniment plus nombreux, surtout à Ajaccio. Dans les villages de l'intérieur, un patronyme français ancien a souvent pour origine le mariage local d'un gendarme (le père du maréchal Juin était gendarme à Ucciani). Les régiments suisses de l’Ancien régime ont laissé à Ajaccio le nom de Fesch, à Corte, celui de Siméon de Buochberg.
Au coeur de la Corse, on trouve un ancien et étonnant Stuart.
En ce qui concerne les noms proprement Corses, leur formation tardive s'achève dans la seconde moitié du XVIIII siècle. C'est alors que l'ancien système du prénom, nome, suivi du prénom du père (Paolo di Martino) ou du lieu d'origine (Paolo da Quenza) fait place au nom de famille, casata. A noter toutefois la persistance de surnoms collectifs destinés à distinguer les branches et rameaux d'une même famille sur le modèle romain: praeno Men, nomen gentiliciurn, cognomen. Pour prendre un exemple, qu'il serait aisé de multiplier, la famille Peretti, de Livia, déjà signalée comme très nombreuse au XVIlléme siècle par l'annaliste Ambrogio Rossi, se subdivise en une vingtaine de branches distinguées chacune par un surnom issu soit d'un prénom (Paoli), soit d'un grade (Alfieri, enseigne), soit d'un sobriquet (Calzetti, chaussettes) souvent pittoresque, parfois truculent. Et aujourd'hui encore ces surnoms ont, dans l'usage courant, plus de vitalité que le nom de famille.

Quelle que soit leur origine et leur mode déformation, les noms de famille sont des formes de la langue écrite, et, par conséquent, toscanisées (prénom Petru, mais nom de famille Pietri avec la diphtongaison dite « romane» inconnue du corse). Quelques noms en y surprennent au premier abord. Gregory, Valery. Ils sont issus de prénoms latins en jus dont le ii du génitif (Gregorii, Valerii) écrit j en ancien italien (Gregorj, Valeri) a été traduit graphiquement par y à l'état civil français, quand la valeur de l'i lungo (j = jj) a cessé d'être comprise.
Tous les patronymes corses - à l'exception de ceux qui viennent d'un nom de lieu très spécifique - se retrouvent en Italie, ce qui a permis à des familles entichées de noblesse de s’y découvrir d'illustres origines, comme le faisaient tant de nobles provençaux sous l’ Ancien régime. Mais l'inverse n'est pas vrai et les Corses savent bien reconnaître à certaines particularités les noms d'immigrés italiens : Colombo italien à côté de Colombini ou de Colombani , formation avec di ou del (Di Benedetto, Del Pozzo), noms de famille sardes en u (Porcu, Manu).

Rappelons enfin que la particule nobiliaire de (à ne pas confondre avec le de’ = dei italien, Pasquale de' Paoli), étrangère au système patronymique italien et corse, est d'usage récent (2éme moitié du XVIIIéme siècle et surtout XlXéme siècle, avec une extension curieuse au XXéme) imitée plus ou moins adroitement du français et que Mgr De La Foata (qui lui même ) en fit des gorges chaudes dans une pièce de vers de ses Poesie giocose.

LES PRENOMS
L'étrangeté de certains prénoms Corses frappe le visiteur dès le premier abord. Sans doute on retrouve comme partout ailleurs les saints du calendrier et les prénoms germaniques (Guillaume, Albert, etc.). On remarquera davantage la survivance de prénoms mystiques datant des premiers temps du christianisme Orsu (ours, surnom d'humilité, plutôt que nom d'animal à valeur magique), Sale (le sel du baptême, toujours en composition, Ghjuvan Sale), Donu (toujours en composition, avec apocope, Don Ghjacumu, Don Ghjorghju, etc.)
L’ Ancien Testament est très largement représenté chez les femmes (Rachel, Bethsabée, etc.). Comme chez les hommes (Balthasar, Laban, Saül, etc.).
La Renaissance a apporté la mode de l'épopée homérique (Achille, Hector, etc.) et de l'histoire grecque (Alexandre) ou romaine (César, Pompée, Trajan, Marc Aurèle, Horace, Titus, Fabius, Décius ; Cornélie, Clélie, Lavinie, Lucrèce, etc.).
La vogue extraordinaire de l’Arioste et du Tasse explique les Orlando, Rinaldo, Sacripante, Sansonetto, Tristano, Bradamante, Gradasso, Medoro, Serpentino, Oliviero, Fiordispina, etc.).
Les plus archaïques de ces prénoms n'ont pas été sans poser des problèmes de transcription à l'état civil où l'ignorance les a souvent déformés de façon bizarre: Lauterio ( Lothaire ) est devenu Léotère, Giabicorso ( Giacopo Orso ) au lieu d’être traduit Jacques-Ours est transcrit Jabicorse et rattaché plus ou moins consciemment au mot «corse» ; San Giustu, nom double composé de Santu, apocopé en San et de Giustu, devient un Saint-Just qui semble, à tort, inspiré par la Révolution française.
Transmis de grand-père à petit-fils, d'oncle à neveu avec une régularité qui facilite les recherches généalogiques, le prénom corse destiné à «remplacer» un défunt (on ne donnait jamais autrefois le nom d'un vivant à l'intérieur d'une mème famille) constituait - et constitue encore - un élément important de l'identité familiale. Après une période d'acculturation, la mode actuelle fait revivre le nom de l'épouse de Sampiero (Vannina = Giovannina, Jeannine) et de la mère de Napoléon (Laetitia) comme un signe d'identité culturelle.