VILLAGE ET DICTONS

 

 

 

 

 




La Corse

Le nom de la Corse
Le sens de l'honneur
La langue et noms Corses
Village et dictons

Les femmes
La religion
La table
Les boissons

 

Les cartes postales qui circulent à propos de la Corse donnent volontiers des habitants de l'île une image austère, grave, toujours sérieuse, si ce n'est ombrageuse. La farouche Colomba, les vendettas, les conférences de presse cagoulées dans le maquis, tout cela, ajouté à d'autres clichés répandus par une littérature ou une presse en mal d'exotisme, donne des Corses une représentation qui n'est que très partiellement conforme à la réalité. D'autres aspects de la vie sociale insulaire révèlent, au contraire, de la convivialité, une authentique joie de vivre, de la gaieté et de l'humour.

C'est dans les villages, aujourd'hui, que se manifestent le mieux les côtés chaleureux ou facétieux de l'âme corse. Autrefois uniques communautés de l'île, les villages ont conservé, dans la mentalité insulaire, un rôle sentimental, affectif, psychologique qui est décisif. Après les inévitables perturbations qu'ont causées chez les hommes l'exode rural intempestif et l'urbanisation exagérée, après l'anonymat, banal, de la société moderne, après une vie confortable, sûre, mais sans saveur et sans âme, ce sont les villages qui permettent aux personnes de redevenir elles- mêmes. C'est là, estiment ceux qui ont le privilège d'en être, que se trouvent les « vraies valeurs », c'est là le siège de la vie authentique.

Ces lieux, idéalisés, ont un pouvoir régénérateur: leurs enfants y reviennent comme ils iraient se désaltérer à une source pure, limpide et vivifiante. Le proverbe avait déjà souligné ce vital et fatal besoin de racines: À centu anni è centu mesi, l'acqua torna à so paesi (À cent ans et cent mois, l'eau revient à son village)...

Ces communautés humaines, soudées jusque par leurs querelles et leurs divisions, ne sont ni austères ni tristes. Elles sont, au sens le plus plein, humaines, c'est-à-dire qu'en dépit de l'exode qui les a frappées, elles sont des communautés vivantes: elles ont leurs joies, leurs peines, leurs codes, leurs rites. On s'y connaît, on s'y retrouve, on s'y reçoit, on s'y amuse. jeux et facéties, le plus naturellement du monde, ont droit de cité, sans parler d'un certain nombre de rituels collectifs qui prouvent que c'est ensemble que la communauté entend dérouler le fil des saisons. À côté des fêtes religieuses, la société a ses jalons et ses repères: il y a l'époque de la chasse, les semaines de la charcuterie, le temps des jardins...

Dans un village - et c'est, peut-être, en définitive, la raison principale de l'attachement des Corses à cette réalité -, chaque génération est à sa place, ce qui veut dire que chacune, comme de toute éternité, existe par rapport aux autres. Les solidarités s'y expriment encore sans qu'il soit besoin qu'une loi fixe pour tous des contributions et des prestations uniformes. Cette proximité des générations, si rare dans le monde urbain, permet que la transmission orale des savoirs, des connaissances ou des souvenirs continue, tant bien que mal, à tenir son rôle. Sans parler du fait que le silence de la nature est moins inhumain que celui fabriqué par la télévision...
La Corse n'est pas avare en épigrammes et en dictons qui stigmatisent les prétendues qualités, vices ou vertus, des habitants des différentes localités de l'île. Fondés parfois sur une anecdote qui se perd dans la nuit des temps, usant et abusant de l'allitération et de la rime, souvent abrupts et denses, les dictons figent les habitants dans des comportements et des réputations immuables: ici, la table est bonne; là, on mange mal; ailleurs, tout le monde ment; plus loin, les gens sont beaux; là, on vole; ici, on est roublard, orgueilleux vaniteux, avare, triste, pauvre, fou peu fiable ou trop bavard. Les traîtres, les renégats, les ennemis du Christ et même les assassins ne manquent pas...

Dans le registre des méchancetés gratuites, on peut citer Palleca, Palleca, a chi fura, a chi nega (Palneca, Palneca, l'un vole, l'autre ment), ou encore ce sobriquet collectif Cargiacanesi, mani mozzi (Cargiacanais, mains coupées, ce qui, pour donner, est évidemment un inconvénient; les habitants de Cargiaca avaient la réputation d'être avares...). Mais les dictons évoquent aussi des qualités. Alisgiani, pisticcine, tessaghiole, e tutti fasgiani (dans l'Alesani, des pisticcine - ce sont de petits gâteaux -, des femmes qui tissent, et tous beaux - comme des faisans) : en une formule, voilà une population laborieuse, sensible aux plaisirs de la vie et de bonne race! Per u biu e u manghia, ci voile anda in Bucugna (Pour bien manger et bien boire, il faut aller à Bocognano) : cela reste toujours vrai...

Les dictons soulignent aussi des particularités un peu mystérieuses. Pourquoi les habitants de Moïta sont-ils censés avoir le cœur triste (Moitinchi, cori tinti, dit le dicton) ? Pourquoi les habitants de Venzolasca ou de Taglio ont-ils, plus que d'autres, la réputation d'être des ranucchiai, des mangeurs de grenouilles? Pourquoi les habitants de Venaco sont-ils particulièrement doués pour jouer à l'imbécile et faire semblant de ne rien comprendre?

En survivant de nos jours, beaucoup de dictons ont la vertu d'évoquer un passé disparu et des modes de vie oubliés. Unti e fini, Balanini (les Balanins, oints et fins), affirme-t-on. D'où vient cette réputation? La Balagne, au nord-ouest de la Corse, produisait beaucoup d'huile d'olive. Elle exportait une grande partie de sa production, mais ses habitants, les Balanins, en assuraient aussi le colportage d'un village de Corse à l'autre. À force de manipuler leur précieux produit, ils en étaient oints; à force de le négocier, ils s'étaient acquis une solide réputation de finesse. Une formule incompréhensible, voire un peu ridicule, à la lumière de ces considérations, prend tout son sens...

Toujours est-il que les dictons illustrent que les communautés villageoises étaient bien vivantes et que, fût-ce sur le mode de la caricature ou de la plaisanterie, elles existaient les unes par rapport aux autres.

Ainsi a-t-on coutume de dire en Corse...
Per cunosce una persona, bisogna manghjà cun ella una somma di sale
(Pour connaître une personne, il faut manger beaucoup de sel avec elle).
U bisognu face calà u capu
(Quand on est dans le besoin, on accepte les humiliations).
Chi duie case tene, in una ci piovè
(Qui se sert de deux maisons, il pleut dans l'une d'elles).
I bai si liani pa i carra, l'omini si liani pa a parafa
(Les bœufs se lient par les cornes et les hommes par la parole).
L'omi hannu piu mani che lingua, e donne piu lingua che mani
(Les hommes agissent plus qu'ils ne parlent, les femmes bavardent plus qu'elles n'agissent).
Matrimoniu sttembrinu, prestu vedevu o meschinu
(Mariage en septembre, bientôt veuf ou malheureux).
Ne per maghju, ne per maghjone un ti sascia u to' pilone
(En mai ne quitte pas ton manteau).
Quandu u cavallu un vale beie, un vale a fischjà
(Quand le cheval ne veut pas boire, rien ne sert de siffler).
A layà u capu à l'asinu, si prede fatiga e sapone
(A laver la tête de l'âne, on perd fatigue et savon).
Ferraghju, ferraghjettu, cortu e maledettu
(Février, petit mois de février, court et maudit).