Artisanat et métiers divers

 

 

 

 



Autrefois La Corse

Artisanat et métiers divers

Le fromage et le brucciu

Les travaux de la mer

Les ambulants "u tragulinu"

La culture de la vigne

L'olivier

Une civilisation de la châtaigne

Castagnaghji

Petits métiers de Calenzana

ARTISANAT ET METIERS DIVERS
On distingue généralement deux types d'activité artisanale: celles qui sont conduites au sein des activités du groupe domestique par les bénéficiaires; le filage et le tissage, la fabrication des outils par le paysan lui-même en sont de bons exemples. Tout autre évidemment est le cas de l'artisan spécialisé qui travaille à plein temps pour une clientèle, comme le forgeron de village, le vannier, le chaudronnier. Bien souvent aussi, un homme ou une femme que distinguent leur talent pour une activité déterminée, ou une infirmité qui les empêche de se livrer aux activités de production communes, se livrent occasionnellement mais avec une assez grande fréquence à des travaux qu'ils exécutent pour d'autres, contre une rémunération diffuse, en nature ou en services. Ainsi en est-il, chez les bergers, de celui qui sait mieux que les autres fabriquer une louche (cochja), une cuillère (cucchjara) ou un seau (tinellu) de bois. Ou encore de celui qui sait avec sûreté et aisance tuer le porc ou le dépecer. Autre exemple encore plus net, analysé par le P.L. Doazan; la fabrication des cierges, activité intermittente confiée à un spécialiste.
Nous ne pouvons pas, dans le cadre de ce chapitre, accorder aux techniques artisanales la même place qu'à l'agriculture et à l'élevage. Nous nous contenterons de les évoquer rapidement en montrant surtout leur place dans la vie quotidienne et l'économie. Au cœur de l'économie agricole, et bien entendu avec le statut d'artisan spécialisé, il faut placer le forgeron (stazzunaghju), il est également chaudronnier, maréchal-ferrand, serrurier, et quelque-fois même armurier, notamment en Castagniccia, où l'on fabriquait jusqu'à la fin du XIXeme siècle, des armes légères de défense (stylets et pistolets) et des couteaux. Les bergers lui confient la fabrication ou la réparation de leurs sonnailles (tintennule). A l'occasion il est aussi arracheur de dents et il soigne les brûlures. Si l'on trouvait autrefois des forgerons dans chaque piève, on n'y trouvait pas aussi aisément des vanniers, des boisseliers, des fabricants de bâts ou de pipes. C’était là des activités artisanales où excellaient les habitants de la Castagniccia, la région la plus surpeuplée de la Corse, toujours à la recherche de ressources d'appoint. Ils allaient vendre leurs productions, de village en village et aussi dans les foires qui étaient pour le villageois l'occasion de faire les achats de l'année: tissus et étoffes, souliers, instruments de ménage, médicaments (quinine, huile de ricin, poix de Bourgogne, sangsues), tabac... La fabrication de la poterie à l'amiante est un bon exemple d'artisanat familial qui fait apparaître la complémentarité des rôles masculins et féminins: cette poterie est particulièrement résistante au feu, en raison du mélange d'argile et de fibres d'amiante de la pâte. Elle était fabriquée par des femmes, mais la commercialisation, dès qu'elle dépassait le cadre de la piève, était le fait des hommes de la famille, qui participaient aux travaux d'extraction de l'argile. Les principaux centres de fabrication de la poterie amiantée étaient Canaja (commune de Campile), Monaccia d'Orezza et Farinole (Cap Corse).


LES FORGERONS
Stazzunaru ou stazzunaghju, le forgeron était spécialisé dans tous les travaux du fer utiles à la vie domestique et professionnelle. Il fabriquait un peu de tout, mais souvent exerçait quelque spécialité, maréchal-ferrand, farrale ; armurier, armaru ; forgeage des socs de charrue, vumera et vumeràle ; il procédait au cerclage, chjerchjatura, des roues de charrettes ou de cabriolets. A l'occasion, il lui arrivait de fabriquer des chaudrons.
La forge, a stazzona, était un des grands rendez-vous des hommes du village. Elle hypnotisait les regards concentrés sur le foyer, a fumace, d'où se dégageait une sorte de magie. La masse incandescente, a rusgia, formée de la braise du charbon de bois et des résidus de fer, était sans cesse attisée, accatizata, par l'énorme soufflet de forge manœuvré par une longue barre de bois, a stanga, elle-même actionnée par une chaîne.
Ceint de son tablier de cuir, u scurzà di sula, le forgeron, d'un geste précis et ferme, saisit la pièce rougeoyante avec des tenailles dont la forme des mâchoires correspond aux différents types de fers, plats, ronds, socs ou ferrage des animaux. De même les marteaux d'enclume, martellu d'ancudine, grande e mezanu ; la masse, a mazza et les marteaux spécialisés, farraghjolu, pour ferrer les bêtes; stampaghjolu, pour pratiquer les trous dans une pièce donnée; pour ce faire elle était posée sur une couronne de fer, a nottula.
Le fer est porté au rouge, hè caldu u farru, puis chauffé à blanc, à la limite de la fusion, balle u farru ; afin de le renforcer, ufarru hè più incurdatu,il est alors battu, martelé, batte, martillà et ribatte u farru. Tout au long de ces opérations, jaillissent en feu d'artifice, aussi bien du foyer que de l'enclume, des gerbes d'étincelles, e carusgiule.
Le forgeron de village était à même de fabriquer la totalité des outils agricoles, faucille, falcia ; serpe long emmanchée, starghja ou rustaghja, et tous les modèles de pioches, zappa bastiaccia, zappa balanina, zappone, marascuru utilisé pour arracher les souches de bruyère, et enfin les outils tranchants, genre hache, piola, accetta, buschera, ascione.
La principale activité du forgeron était néanmoins la maréchalerie. Pour les chevaux, le fer à sept trous, farru cavallinu ; à six trous pour les mulets, farru mulignu ; à cinq trous pour les ânes, farru sumirinu. Avant que les clous fabriqués industriellement n'envahissent le marché, ils étaient forgés sur place. L'opération se déroulait en deux temps, avec du fer de dix. D'abord on étirait le fer, à a prima calda s'allonga u farru ; ensuite on façonnait la tête, à a siconda calda si face a chjocca. Pour avoir une idée de l'activité des forges villageoises, il suffit de rappeler qu'à la veille de la guerre de 1914, les chiffres officiellement recensés sont sensiblement les mêmes qu'en 1926-1927 où l'on dénombrait encore une centaine de chevaux, trois cent trente deux mulets et plus de quatre cents ânes. En ces années on comptait quatre forges. Dans celle de Ziu Dumenicu, son fils Antunarellu forgeait et posait quarante à cinquante fers par jour.
Enfin, on fabriquait tous les systèmes de clôture et de fermeture: barres de blocage des portes, u farru mortu ; verrou à barre coulissante, marchjone ; loquet à poucier, cricca ; grosse serrure, sarrenda, dont le pêne coulissant, u lamale, était actionné de l'extérieur par une clé et de l'intérieur par simple glissement, fà passà u farriale. La porte était parfois munie d'un heurtoir, pichju ou pichjatoghju.
Il convient d'ajouter, que dans toutes les civilisations rurales, on attribuait au forgeron des compétences thérapeutiques. C'est à lui que dans bien des cas on s'adressait pour se débarrasser d'une sciatique, taglià a sciatica, à l'aide d'un fer rond, rougi au feu et introduit au creux de l'oreille. C'est dans le bac où l'on trempait les fers, a pila, que l'on venait prendre l'eau pour soigner les inflammations des yeux. Enfin, une très fine limaille de fer, réduite en poudre, était utilisée par les femmes qui avaient des règles douloureuses.
LE CORDONNIER
Le cordonnier, u scarparu, travaille assis sur une chaise basse, devant un petit établi de petites dimensions, très bas sur pied et de forme carrée, u bancu. Dans des casiers, sont disposés les différents types de pointes dont il se sert: sciviglie, stacchette, chjavelli; quelques outils: martellu, martella et tinaglie, raspa, trinchettu et tagliolu, forma, bisègula et lesina, une boule de suif, u segu, pour graisser l'alêne, de la poix, a pece, pour enduire le fil avec lequel on fait du chégros, u spagu ou spelu.
Avant que les souliers manufacturés n'envahissent le marché, certains cordonniers étaient très habiles dans la fabrication des chaussures, souliers montants de travail, scarpi grossi; souliers bas, scarpi sbuccati; souliers fins, scarpi scullati ; voire bottines, scarpetti. Selon le type, les souliers étaient stacchittati, inchjavillati ou schjavillati.
Les cordonniers fabriquant de moins en moins de chaussures cousu main, leur activité fut progressivement réduite aux simples ressemelages, a sulatura. Pour ressemeler, risulà, le soulier était enfilé dans un pied de fonte, u pede. Les lacets découpés en longues et étroites lanières de cuir, i straglieri, furent remplacés par les «lassé » en coton tressé vendus à l'épicerie du coin.

LE RETAMEUR

Le rétameur beaucoup plus que chaudronnier ainsi que son nom, u paghjulaghju, semblerait l'indiquer. Il faisait des soudures, saldature ; rétamait, stagnà, les fourchettes et les cuillères qui, en ce temps-là étaient en fer. Avec de l'étain il bouchait les trous des casseroles. Il fabriquait aussi des bidons de cinq litres avec du fer blanc, a latta, pour transporter le lait ou l'huile; avec du zinc, il confectionnait des gouttières, e grundane, et des plaques de fer, i testi, destinées à faire cuire les gâteaux au four. Mais le véritable chaudronnier professionnel, celui qui fabriquait tous les ustensiles de cuisine de qualité, en fer ou en cuivre, était établi en Castagniccia, spécialement dans le val d'Orezza.

Les objets originaires de la ville ou du continent, ferblanterie, mercerie, friandises, étaient apportés dans les villages par le bancarotta marchand ambulant.

LES MACONS de François j CASTA 1984
Muradori, maestri di muru, maestri di muraglia, ainsi désignait-on les maçons. Pour essayer de comprendre comment ils vivaient et travaillaient, le cas concret de Calvi semble bien refléter une bonne et honnête moyenne.
C'était en 1904. Mon père avait dix ans. Alors que d'autres, grâce aux lois Ferry, pouvaient aller à l'école obligatoire, lui, était manœuvre. Il fallait vivre. Et dans la Corsica di tandu, il n'était pas le seul. Pour ne pas appartenir à la corporation, il fut accueilli avec méfiance et, le moins qu'on puisse dire, brimades.
Un manœuvre percevait quinze sous par jour; à dix-sept ans, un franc cinquante; un maçon confirmé, trois francs. A la veille de la Grande Guerre, mon père recevait deux francs cinquante. En ce temps-là une livre de pain coûtait quatre sous, un litre de vin six sous, la viande de boucherie, deux francs le kilo. Autant dire que du vin on n'en connaissait guère le goût, et la viande, cuite en pot-au-feu, ne faisait son apparition que le dimanche. Une tenue de bleu de travail valait de trois à quatre francs, une paire de brodequins cloutés, stacchittati et inchjavillati, huit francs. L'ensemble, bien entretenu, pouvait durer six mois.
La journée normale des maçons débutait à six heures du matin, s'arrêtait à onze heures pour reprendre à treize heures et se terminer à dix-huit heures. Ils passaient donc dix heures par jour sur le chantier, six jours par semaine et parfois même le dimanche. En hiver, le travail commençait au lever du jour et se poursuivait jusqu'à la nuit.
Manœuvre donc, manuvale, il gravissait les échafaudages, i ponti, en empruntant des plans inclinés dits scalandroni, pour amener aux postes de travail, seaux de mortier et pierres de taille, petre zuccate. Ces fardeaux étaient posés à même l'épaule, protégée par un vieux sac plié en quatre. Parmi les nombreux outils, i fa ni , utilisés dans le métier, nous ne retiendrons que les outils individuels, comme la truelle, a mescula, et les différents types de marteaux. U martellu, le marteau à tout faire; u martillone, gros marteau pour casser et parer les pierres; u mazzolu, pour travailler la pierre avec une broche, a puntarola, ou un ciseau, u scarpellu ou tagliolu; a picchetta, à pointe d'un côté et tranchant de l'autre pour dégrader joints et crépis; a martilletta, à tête carrée et tranchant, pour couper briques, tuiles et carreaux.
En nos temps de béton armé et parpaings agglomérés, il n'est pas interdit de se laisser aller à rêver sur la qualité des matériaux employés et du travail accompli. Les éléments taillés d'un bloc dans le granit, tels u sopr' à porta, le linteau qui repose sur ses montants, e spalline. Qui ne songe avec nostalgie au seuil, u scalinu di a porta, où il faisait si bon, s'asseoir en été. Enfin, le magistral agencement des pierres, ce qui n'était pas donné à tout le monde, pour former les différentes arcatures, volta et vultini, arcu et fornu.

En se remémorant le processus de la construction, c'est la richesse de tout un vocabulaire qui remonte dans les mémoires de ceux qui l'ont utilisé. D'abord la tranchée, u scassu, creusée pour recevoir les fondations, i fundamenti. A la pose de la première pierre, un rituel bien oublié, consistait à poser à la manière d'une cale, scaglia, une pièce en or, que d'un leste coup de truelle quelque vieux maçon savait escamoter pour s'envoyer quérir quelques rations d'absinthe. Et les murs s'élevaient: muri maestri qui forment l'enceinte de la construction; muru cumunu, mur mitoyen; muru di mezu, mur de refend; capimonte, mur pignon; muraglio, mur de soutènement; muraglietta, muret sur lequel on s'assied. Avec la brique creuse de cinq, ont disparu l'antique cloison en planches, u perdatu, ainsi que la tramizana, galandage fait de cadres de bois garnis de maçonnerie, a mattunata, en briques crues ou en torchis.
Un drapeau hissé sur le faîte marquait l'ultime étape du gros œuvre. Pour couronner le tout, l'entrepreneur, l'impresariu, conviait à un grand repas, u facciadîcu, tous les corps de métier ayant participé à la construction. Avec la disparition de cette manifestation conviviale, un des signes de la solidarité villageoise, combien d'autres solidarités n'ont-elles disparu.

LES COUTURIERES
Les vêtements les plus ordinaires étaient souvent coupés et assemblés à la maison, et on ne se confiait aux couturières que pour la confection des vêtements de cérémonies. Les vêtements achetés à l'extérieur étaient soigneusement entretenus et rapiécés. Un dicton résume cette vie quotidienne économe et laborieuse:
« A pezzà panni si passa l'anni » (En rapiéçant les vêtements on voit passer les années).