Les travaux de la mer

 

 

 

 



 

Autrefois La Corse

 

Artisanat et métiers divers

Le fromage et le brucciu

Les travaux de la mer

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L'olivier

Une civilisation de la châtaigne

Castagnaghji

Petits métiers de Calenzana


On l'a dit souvent: le Corse n'est pas attiré par la mer « Che tu vaga in mare » (que tu ailles à la mer) équivaut à « que tu ailles au diable ». Il a bien fallu pourtant que cette île ait ses marins, et elle a encore ses pêcheurs. Toute la côte occidentale et les deux versants du Cap Corse sont ponctués de ports de pêche, qui furent autrefois des ports de commerce. En partant de Bastia vers le nord: Erbalunga, Porticciolu, Santa-Severa sur la côte est du Cap, Centuri, Saint-Florent, Calvi, Girolata, Cargese, Ajaccio, Propriano, Bonifacio; sur la côte orientale, à part les ports du Cap Corse, nous ne trouvons que Porto Vecchio. Mais les étangs de Biguglia, de Diane, d'Urbinu, ont été et sont encore des lieux producteurs d'huîtres. On importait les huîtres de l'étang de Diane, et au XVIIe siècle on en faisait des conserves et on les exportait par centaines de mille.
Jusqu'à la fin du XIXeme siècle, les patrons de barques du Cap Corse ont assuré une part importante du commerce intérieur et extérieur de l'île. Dans le Cap Corse la route carrossable n'a ceinturé la péninsule qu'à la fin du XIXeme siècle; jusque-là, et même jusqu'en 1914 une grande partie du trafic se faisait par bateaux; les principaux ports d'« escale », au départ de Bastia, étaient Santa-Severa, Macinaghju, Pinu ou Centuri, Saint-Florent.
Chaque village dans le Cap Corse avait à cet égard sa marina un simple mouillage entouré de quelques bâtiments, magasini où l'on entreposait les marchandises débarquées. Il faut distinguer de ces marines, les ports véritables, dotés d'une population permanente et spécialisée dans les activités liées à la mer. Ainsi, par exemple, Morsiglia a une marina, mais Centuri, juste à côté, a un port.
La pêche aujourd'hui n'est plus une activité aussi importante que celle évoquée au XVIIeme siècle.
Rude métier que celui de la mer! Comme tant d'autres, il était de peu de rapport, pour ne pas dire de misère. Pour être régulièrement inscrit au rôle d'équipage, le mousse, u muzzu, devait avoir atteint l'âge de treize ans, mais il n'était pas rare qu'il fût embarqué clandestinement dès l'âge de douze ans. Novice, nuviziu, à seize ans, il devenait matelot, marinaru, à dix-huit ans. Le marin pêcheur était vêtu d'un pantalon confectionné dans un gros coutil de couleur kaki, u frustanu. Lorsque la pauvreté était vraiment trop grande, ces mêmes vêtements de travail étaient taillés dans des sacs ayant servi au transport de la farine. Bien que marchant habituellement pieds nus, il avait des chaussures à haute tige de cuir souple et épaisse semelle de bois, i sclo, à l'intérieur desquels on enfilait des chaussettes feutrées, i calzittoni.
En dehors des temps de pêche proprement dits, longues heures et grande patience étaient consacrées à la confection et à la réparation des filets, a cusgitura di e rete, et des casiers, nasse è nassoni. Le seul instrument utilisé était l'aguglia, navette semblable à celle des tisserands. Maniée par des doigts habiles elle courrait en d'innombrables va-et-vient avec rapidité et dextérité.
On ne comptait pas moins de huit filets fixes, mandraga pour le thon; trimaghju et trimaghjone pour les rougets, e triglie ; l'ustinara pour les langoustes, e rigoste ; bugara pour les bogues, e bogule; battuta pour le tout venant, tuttu pesciu ; ochjatara pour les oblades, l'ochjate ; et u paré, cet ancien filet à deux nappes. Les quatre filets traînants, le filet bœuf, u gangasser les grande et petite sennes, sciable et sciabicottu; l'épervier, u runzaghju; enfin le seul et unique filet flottant, a minàica.
La fabrication des neuf types de nasses ou de casiers mérite qu'on s'y arrête. Les verges de myrte, e trappe di a morta, soigneusement sélectionnées et vérifiées sont travaillées au falcinu, grand couteau recourbé en forme de serpette. Le premier acte, a principienda, dont dépend toute la fabrication, consiste en la mise en place de la stella, ainsi nommait-on le fond de la nasse. Deux cercles, i lesi, forment les premiers éléments de l'armature. Sur deux autres cercles, i chjerchji, on procède à l'incruciatura, c'est-à-dire que trappe et lesi sont ligaturés et croisés, incruciati. Les goulots d'étranglement, i sturzi, en forme d'entonnoir, ont la pointe tournée vers l'intérieur. Ils sont fabriqués avec des vergettes plus fines et plus flexibles que les trappe, elles ont pour nom e spulette. Pour passer la main à l'intérieur de la nasse, une ouverture est pratiquée sur le flan, u purtellu, fermé par un couvercle amovible, s stella di u purtellu. Le cercle qui délimite cette entrée, a curona, est formé de trois trappe superposées et ligaturées ensemble. Le diamètre du purtellu est déterminé selon le type du casier, soit par le poing fermé, soit par le poing fermé augmenté d'un pouce tendu en avant.
Le scabecchju est une technique de conservation méditerranéenne qui permet de stocker le poisson: on le fait frire dans de l'huile à laquelle on ajoute avant la fin de la friture, un peu de vinaigre et des feuilles de myrte. Le poisson est conservé dans l'huile de cuisson entre deux couches de feuilles de myrte, et peut-être consommé ainsi pendant plusieurs mois. C’est une technique de préparation qui s'est conservée dans la cuisine traditionnelle familiale.
On exportait aussi du corail que l'on pêchait sur les côtes méridionales, entre Bonifacio et Ajaccio. La pêche du corail sur les côtes d'Afrique était, avant la Révolution, la principale ressource des marins d'Ajaccio. Les parages les plus riches pour la Corse sont situés entre le détroit de Bonifacio et la pointe de Campo-Moro, particulièrement vers Tizzanu, et les coraux Corses sont de qualité supérieure à ceux des côtes d'Afrique.
En 1827, une centaine de bateaux étrangers pêchèrent sur les côtes de l'île 11800 kg de corail. Cette pêche est actuellement presque éteinte.
Aujourd'hui la pêche sans doute la plus lucrative est celle des langoustes que l'afflux touristique de l'été a développé jusqu'à la mise en péril des fonds. Traditionnellement on pêche également le jarret (zarrulu), le bogue (bogula), le thon (tonnu), le canthère (tannutu), le pageot (paghjellu), le congre (groncu), le rouget (triglia), l'oblade (occhjata), le denté (denti), la rascasse (cappone), la murène (murena), bien d'autres encore.
On connaît deux ou trois types de barques de pêche: Le guzzu. Longue de 6 à 7 mètres, elle est munie d'un mât placé au tiers avant et d'une antenne qui porte une grande voile carrée (tarchia. vela quadrata), à laquelle on peut ajouter un foc (bilacu). Le schifu est de même taille et de même forme, pointue aux deux extrémités, mais munie d'une voile latine (vela latina ou vela maestra) et accessoirement d'une voile carrée (tenta) assujettie par une vergue. Enfin on relève sur l'étang de Biguglia une barque à fond plat et sans mât (piatuna). Les bois employés pour la construction des barques sont le chêne, le châtaignier et, plus récemment, le pin.
Les instruments de pêche sont de différentes sortes: les lignes (lenza) du type palangrotte (bulintinu) s'emploient dans une pêche à la traîne (pesca a trascinella) ou à postes fixes déterminés, quand les pêcheurs sont en mer, par le croisement des regards posés sur des repères côtiers aussi éloignés que possible les uns des autres. On pêche aussi, depuis la côte, à la canne les denti.
Les filets sont très variés: parmi les principaux filets fixes, évoquons la trimaghja, filet à nappe simple, renforcé par deux filets à grandes mailles, la battuta, à nappe simple pour le tout-venant, le trimaghjone pour les rougets, la bugara pour les bogues. On utilise aussi des filets traînants: la sciabbica, une grande senne que l'on mouille avec une barque, à proximité du rivage, et que l'on tire à plusieurs depuis la côte. L'épervier (runzaghju) est un instrument individuel que l'on lance depuis la côte ou depuis une barque. La pêche à la langouste se faisait traditionnellement avec des nasses (nassa) mais celles-ci sont progressivement supplantées par des filets (bustinare).
La pêche aux bogues donnait lieu à la pratique de l'imbusche. Eu égard au nombre de barques qui y participaient, on procédait à la désignation des postes de pêche, par tirage au sort. Si, par exemple, il y avait dix barques, on prenait dix pièces de deux sous en bronze que l'on numérotait de 0 à lX, nant'à un duppione si facianu i numari da nulla à nove. Les pièces étaient agitées dans une casquette maintenue bien fermée. Les numéros étaient tirés une première fois pour rien. Les pièces étaient remises dans la casquette; un second tirage, confié à une main d'enfant, attribuait les postes.
A Calvi les postes étaient répartis en trois zones:
A) I trè posti di u Fanalettu di terra.
B) I trè posti di Cala di pesci, Cala di terra, Cala di fora.
C) I trè posti di daretu à u Fanale, u Pindinu, u Capu Negru, u postu di terra.
Les barques prenaient place l'une derrière l'autre, au poste qui leur était échu. Lorsque le premier équipage avait fini de mouiller ses cinquante mètres de filet, il criait« Natta! », ce qui invitait le second à mouiller. Ainsi de suite. Selon leur ordre d'arrivée, les postes étaient dits intistà, rintistà, surintistà.
L'équipage d'une barque de pêche comporte, outre le patron (patrone), un marin (marinaru), un ou deux novices (nuviziu) et un mousse (muzzu). C’est en fonction de ces grades la pêche terminée, et avant que ne commence la vente du poisson qu’avait lieu la répartition des parts entre les membres de l’équipage: le patron recevait trois parts : la sienne, celle du bateau, celle du matériel. Le marin-pêcheur avait une part, le novice trois-quart de part, le mousse une demi-part. Le patron annonçait la distribution en ces termes: «Fate vene e sporte! Tanti pugni per omu. Approchez vos paniers! Tant de poignées par homme». Une poignée équivalait à une mocca, unité de mesure valant environ un litre. Il arrivait qu'un patron peu scrupuleux fasse les cornes, facia e corne, c'est-à-dire qu'en repliant sur la paume de la main le médius et l'annulaire, un certain nombre de poissons tombaient sous le banc sur lequel il était juché. D'où son nom, bancu arrubaticciu, banc voleur.
Lorsque les pêcheurs arrivaient la nuit, la vente du poisson se faisait à la maison, et de jour sur les quais, nant'a calata.
La revente était l'apanage des femmes, personnages hauts en couleurs, e pisciaghje, . Pour écouler leur marchandise, elles faisaient du porte à porte ou s'installaient sur le marché ou encore au carrefour des rues: «I pes---ci! Aio--- i pesci freschi ! Freschi chi venenu d'arrivà ! » Certaines partaient dans les villages avec, sur la tête, corbeille et balance romaine, u cantarettu. Parfois elles se faisaient véhiculer par des charretiers de métier.
Certaines pisciaghje venaient des villages environnants. Celles de Ziglia arrivaient à Calvi vers cinq ou six heures du matin. Parfois elles passaient la nuit sur les quais dans un abri de la douane, attendant le retour des barques. Les femmes de Curbara s'étaient fait une réputation méritée dans la préparation des anchois. Elles achetaient les sardelle, qu'elles salaient et conservaient dans des barils en bois, e baie.