Le berger corse est d'abord un fromager. La traite s'effectue
de façon
différente pour les chèvres et les brebis, en fonction de la connaissance
que les bergers ont des animaux: les chèvres sont traites dans un enclos
rond (mandria, ou presa) dans lequel elles peuvent circuler librement. Le berger
de brebis, lui, fait entrer son troupeau dans un enclos étroit et allongé (compulu),
dans lequel les brebis sont serrées les unes contre les autres. Il commence à traire à une
extrémité du compulu et avance peu à peu en faisant passer
les brebis derrière lui au fur et à mesure qu'il les
a traites.
La relation du chevrier (capraghju) à ses bêtes est différente
d'une bête à l'autre: chacune est individualisée par un nom,
et l'on connaît son comportement. Les chèvres ont la réputation
d'être, comme il se doit, plus capricieuses, mais aussi plus attachées à leur
berger un dicton niolin affirme: « capre a u patrone, pecure a rughjone» (les
chèvres sont attachées au berger, les brebis à leur
pacage).
Une fois la traite terminée, le berger fait cailler le lait avec de la
présure obtenue à partir des estomacs de cabris de lait, séchés à la
fumée, réduits en poudre, et mélangés à de
l'eau. Le lait est emprésuré à froid, et il caille en moins
de deux heures. On casse alors le caillé, afin d'en faire sortir le petit-lait
(seru), puis on le verse dans les moules à fromage (fattoghja ou casgiaghja)
en jonc tressé (aujourd'hui ils sont, le plus souvent, en matière
plastique) posés sur une planche légèrement creusée
et rainurée, (scaffa ou tavuleddu) qui recueille le petit-lait et le conduit
jusqu'à un chaudron de cuivre étamé (paghjolu). Les fromages égouttés
sont assemblés deux par deux: on obtient ainsi un fromage de formes régulières
qui pèse, frais, de 800 g à 1 kg. Il sera salé deux ou trois
fois, et affiné peu à peu dans une cave humide et fraîche.
Dans le Sartenais, le lait est caillé à la chaleur de 30°,
le fromage frais est pressé à la main dans un moule en bois (scudedda)
et affiné sur des claies à la fumée de bois.
Une fois le fromage fait, le berger passe à la fabrication
du brocciu.
Le brocciu est fait à partir d'un mélange de petit-lait et de lait
entier (puricciu) dans la proportion de quatre cinquième de petit-lait
et de un cinquième de lait entier. Ce lait entier a été mis
de côté avant l'emprésurage. Le petit-lait est d'abord chauffé seul,
jusqu'à la température de 50° environ. On le sale et on y ajoute
alors le puricciu. Le mélange est porté à la température
de 75° ; la surveillance du feu est une opération délicate.
Le feu ne doit pas être trop vif, (on exclut pour cette raison les résineux
parmi les combustibles), mais il doit être continu.
Quand la température approche de 75°, il se forme un précipité blanc
qui monte à la surface du mélange où il constitue une masse
légère, onctueuse et souple, que le berger débarrasse soigneusement
des impuretés apportées par le vent (cendres, poussières)
et qu'il dépose délicatement avec une palette en fer dans des moules
de jonc tressé. Le brocciu est ensuite doublé, comme les fromages.
Le liquide qui s'écoule de ces moules, ou qui reste au fond du paghjolu
est appelé ciaba. Les bergers le donnent aux porcs et ils s'en servent
aussi, quand il est encore presque bouillant, pour laver les ustensiles qui ont
servi à faire le fromage et le brocciu. C'est à peu près
tout le parti qu'on peut tirer de la ciaba.
Le brocciu peut être consommé frais, le jour même de sa fabrication,
ou bien conservé : dans ce cas, on le sale, comme un fromage. L'ensemble
des opérations de fabrication du fromage et du brocciu occupe à peu
près deux heures, à quoi s'ajoutent les deux heures nécessaires
au caillage du lait, pendant lesquelles le berger s'occupe de l'affinage : salages
et lavages des fromages et brocciu déjà en cave.
Les vieux bergers
disent qu'il est nécessaire, pour faire un bon fromage, de le prendre
en mains (manighjà) au moins tous les deux ou trois jours.
Les bergers corses font rarement du beurre bien qu'ils sachent le faire;
la cuisine Corse traditionnelle n'utilise que l'huile d'olive et le
saindoux. On consomme
aussi, assez fréquemment, le caillé et le fromage à tous
les états de sa fabrication : frais ; non salé ; à peine
salé; « fait» (fattu), au bout de 5 à 6 semaines
; ou vieux (vechju), après plusieurs mois d'affinage.
Les fromages corses sont variés : en établir la liste complète
serait difficile; on peut au moins distinguer, parmi les plus connus, les fromages
originaires de Calenzana, du Niolu, de Venacu, qui sont tous des fromages à pâte
molle ; le Sartenais est un fromage à pâte pressée. Le brocciu
est connu dans toute la Corse ; dans le Sartenais on fabriquait autrefois une
sorte de caillé appelé ricotta qu'on produisait en jetant dans
un seau de lait entier quelques gros galets chauffés, jusqu'à ce
qu'on produise l'ébullition du lait. Quand le lait est redevenu tiède
on le fait cailler, et on obtient la ricotta Corse.
On ne peut pas parler de la fabrication du fromage, en Corse, sans
mentionner la place qu'a prise dans l'économie pastorale, depuis 1899, l'industrie
fromagère de Roquefort. A l'heure actuelle, 90 % de la production laitière
ovine, représentant la quasi-totalité des troupeaux (environ cinq
cents) sont traités dans les six fromageries roquefortoises implantées
en Corse. Elles exportent chaque année vers le continent 1200 à 1300
tonnes de fromages en fourmes, qui finiront leur affinage dans les
caves de Roquefort.
La période de ramassage du lait, s'étend d'octobre à la
fin mai. En juin-juillet, à la montagne, les bergers des brebis
font du fromage traditionnel pour leur consommation propre et la vente
dans le circuit
local.
La production Corse représente environ 10 % de la production
totale de Roquefort.