PETITS
METIERS DE CALENZANA, (De François J CASTA)
A côté des métiers à plein temps, il y avait la multitude
des petits métiers occasionnels. Sans en faire leur principale occupation,
d'aucuns l'exerçaient comme un art. Dans le village de Calenzana, deux
retraités se livraient aux travaux de vannerie: Ziu Antone u Cantuneru
et Monsieur Borel, gendarme en retraite, marié avec Zia Ghjuvanna. Les
sporte de Ziu Antone étaient belles et solides, belle è forte.
Il en faisait même des modèles réduits pour les enfants.
Un jour que je fus pris de violents maux de tête, pour avoir été innuchjatu,
sa sœur Zia Bianchina, lui avait demandé de me fabriquer une spurtarella
pour aller cueillir les mûres. En fait, c'est mon grand-père, Ziu
Duminichellu, qui la remplissait de figues lorsque nous descendions à l'ortu,
le jardin potager.
Ces particuliers donc, se livraient à des fabrications destinées
essentiellement à l'usage familial et surtout pour rendre service. De
temps à autre arrivaient de Cassani ou de Lunghignani, mais surtout de
la Castagniccia, les véritables spurtillaghji, avec des ânes ou
des mulets chargés de ces vanneries recherchées. Ils en offraient
une très grande variété. La sparta, panier à tout
faire, avec anse, était surtout utilisée pour la cueillette des
légumes et des fruits.
Fabriquée avec des verges, e vette, d'olivier sauvage ou avec des roseaux
fendus en deux dans le sens de la longueur, a coffa servait pour les vendanges
ou pour ramasser les pierres dans les champs, scugnulà, ou alors pour
impitricà, ce qui veut dire empierrer ou amonceler les cailloux dans un
endroit déterminé, u pitricaghju. Lorsque les femmes se rendaient à la
rivière pour faire la lessive, a bucata, elles transportaient le linge
dans une corbeille dite u cistinu. Ayant le même usage, a panera servait également
au transport des beignets destinés à la vente. De même,
a curbella, plus large, et de plus petites dimensions.
Les moyens de portage classiques à dos d'âne ou de mulet exigeaient
l'emploi du bât, l'umbastu. Pour arrimer les charges parfois importantes,
on utilisait une longue corde en poils de chèvre, tressée, appelée
minatoghja ou encore prissoghja. De longueurs différentes, selon les
besoins et les usagés, on venait passer commande à Zia Chillinchjona,
d'une minatoghja pour une ou deux charges, una o duie some. Elle déterminait
alors la longueur par deux barreaux, dui cavichjoli, fichés entre deux
pierres d'un mur. Avec une grande dextérité elle allait et venait,
faisant courir les fils enroulés dans une sorte de navette, d'un cavichjolu à l'autre.
Séparés et regroupés quatre par quatre, les fils subissaient
l'opération du tressage et du tortis. Mais comme la minatoghja se mettait
naturellement en vrille, il fallait la tirer et l'étirer. Ziu Timbulione
fixait la tête de la minatoghja à un anneau scellé dans
une énorme
pierre de près d'un mètre cube; rassemblant tous les gamins du
quartier de l'Ormu, il leur criait: «Tirate, o zitelli, ch 'avemu da
caccià a
petra ! Tirez les enfants nous allons enlever cette pierre ! ". Au bout
d'un long moment et devant l'immobilité de la pierre: " «O
ziu Timbulio, ùn vene micca a petra ! Elle ne vient pas, la pierre ! " - «Tirate
puru ! Tirez quand même! ". Depuis, plus de soixante ans ont passé,
et la pierre est toujours là. Immobile. De minatoghje on n'en fabrique
plus, car personne n'a remplacé Zia Chillinchjona. Ziu Timbulione est
mort. Le quartier de l'Ormu est vide d'enfants. Toutes les maisons sont fermées.
François J. CASTA (1984)